MORLANNE ET LE PALESTRION



En avant de la ville de Saint-Sever et séparée d'elle par la route départementale qui y conduit, la promenade ou terrasse de Morlanne (survivance de Mont de Lannes) conduit à un belvédère qui domine d'une centaine de mètres la vallée de l'Adour en offrant un large panorama sur la foret landaise. Cette butte entourée par des fossés naturels ne manqua donc pas d'être utilisée comme poste d'observation et de défense depuis des temps très reculés, et pour longtemps.

panorama depuis la terrasse de Morlanne



vue aérienne du site (Google Earth)

Son excellente situation justifia l'installation d'un oppidum protohistorique puis d'un camp militaire gallo-romain après la conquête de la Novempopulanie par Crassus, et nommé« Castrum Caesaris » au Vème siècle. Bien sûr, il ne reste sur cette esplanade aucune trace visible de cette position militaire qui, après trois siècles d'occupation romaine, dut faire face aux invasions successives des Vandales, Wisigoths, Francs, et Normands.
Pourtant, c'est là qu'aurait été édifié le légendaire ou mystérieux« Palestrium »,  palais d'un gouverneur ou proconsul romain. 

La légende de Saint Sever, rédigée au XIe siècle, y évoque un palais résidence d'un gouverneur romain nommé Adrianus converti au christianisme par l'évangélisateur, encore Severus, en 405. C'est même aux abords de ce palais, sur la côte de Brille, que Saint Sever aurait trouvé la mort, décapité par les Wisigoths ou Vandales vers 409.( Malheureusement tout cela n'est qu'une tradition. D'ailleurs, selon d'autres récits, Saint Sever aurait péri bien plus tard, vers 445).
Cette construction gallo-romaine des IIIe ou IVe siècle aurait ensuite été détruite par les Normands en 840. Evidemment, il est difficile de démêler la part de légendes et de vérités historiques.

Bien que probablement falsifiée, la charte de fondation du monastère de Saint Sever (fin du Xème siècle) précise que Guillaume Sanche, son fondateur ( par ailleurs célèbre pour sa victoire sur les Normands) aurait, en 988, ajouté à toutes ses libéralités " son château du Palestrium avec toutes ses dépendances et sa garnison" . Il est figuré sur la Mappemonde du Beatus de Saint-Sever enluminé dans la seconde moitié du XIe siècle.


La mappemonde du XIe siècle inclus dans le manuscrit du Beatus de Saint-Sever figure de façon exagérée la représentation de l'église, mais aussi un édifice voisin, carré et crénelé,  identifié par un mot effacé, mais qu'on peut deviner être le Palestrion, nom donné au château dans les documents de l'abbaye.

Toujours est-il que les Wisigoths de Théodoric 1er, nouveaux maîtres du pays, ont vraisemblablement fortifié le castrum romain qui devint par la suite, en raison de la destruction des fortifications de l'ancienne capitale wisigothe Aire, une des résidences des ducs de Gascogne aux IXe et Xe siècles. C'est là que se tenaient les états de la Novempopulanie, faisant même de la place une capitale d'état entre 981 et 1063, surnommée alors " Cap de Gasconha ".(Cf. Pierre Marca - dans son Histoire du Béarn en 1640). 

Ce Palestrion aurait été un puissant centre de décision durant les périodes wisigothique, mérovingienne, carolingienne et du haut moyen âge. A noter que le terme romain de palestrium correspondant à un lieu public d'enseignement et ses installations sportives, souvent associés à des thermes.

Le site d'un château féodal, bâti dans la partie sud du castrum, se trouve aujourd'hui enserré et entouré par les habitations modernes qui cachent les anciennes mottes castrales .Il contrôlait l'accès qui se faisait par le chemin de la côte de Brille.

maisons cachant les mottes castrales - la cote de Brille 

Le site castral est abandonné après la Guerre de Cent Ans et le château apparait comme menaçant ruine dans un enquête de 1615, puis démantela en 1738.

De fait, cette construction, dite du Palestrion, n'est connue que par un dessin du bénédictin Dom Du Buisson dans un manuscrit de 1681 - Historiae Monasterii S. Severi - archives de Saint-Sever) qui le figure entouré d'une enceinte flanquée de quatre tours d'angle. 

Le site de Saint-Sever au XVIIe siècle, d'après un dessin de Dom Du Buisson.
(archives  ville de Saint-Sever)
à droite, la butte et le château

De tout ce qui précède, et en l'absence de véritable fouilles méthodiques sur le promontoire, il ne reste aujourd'hui, plus rien de visible, sauf quelques rares traces enfouies ou maintenant cachées par le béton des arènes qui occupent une partie du site.
Pourtant, il en subsistait encore des restes au milieu XVIIème siècle. Pierre de Marca y fait allusion en 1640 dans son Histoire du Béarn. Mais les matériaux furent donnés dit-on au lieutenant-général de la sénéchaussée (de Basquiat ) qui le fit démolir pour construire ses maisons.

En 1876  on écrivait " il suffit de gratter pour mettre à nu des morceaux de plaques de marbre magnifiques . Il y a quarante ans un habitant trouva le long du talus du nord une pierre qui se trouva être une superbe tête de statue de marbre que le vicomte de Poudenx paya cinquante francs"

En1894, des ouvriers ont mis à jour trois chapiteaux en marbre, un fut de colonne, et le buste d'une statue de femme, sans tête ni bras, de l'époque gallo-romaine. Une tête avait été découverte dans le talus vers 1836.  
Paul Dubedat, lors de sondages entre 1966 et 1968, a mis au jour des vestiges de diverses époques, dont des monnaies gallo-romaines de Gallien, Constantin et Constance II , des céramiques, des fragments de marbre, un bracelet de bronze et une intaille, mais pas de construction autre qu'un mur grossier. Donc pas de preuves archéologiques d'importante construction. Il est vrai que les bouleversements du terrain, l'urbanisation moderne, et surtout l'édification des arènes en béton en 1932 sans fouilles préventives, limitent le champ d'éventuelles. investigations sur la partie sud du site. Or, c'est la partie présumée avoir supporté le Palestrion puis le château. 
Une grande base de colonne en marbre blanc aurait été  découverte en 1976.

Ces découvertes ont cependant attesté d'un occupation humaine ancienne et permanente du site, depuis l'époque protohistorique puis gallo-romaine, pouvant conforter la tradition. 

Le musée d'art et d'histoire du Cap de Gascogne, au couvent des Jacobins, conserve plusieurs vestiges archéologiques provenant de cette butte de Morlanne, dont une dizaine de chapiteaux en marbre. 



Il est d'ailleurs  vraisemblable que certains des décors de ce Palestrion détruit ont été réemployés dans l’abbatiale, tels que :
Deux  colonnes monolithes en marbre dans chaque bras du transept de l'abbatiale qui seraient des remplois de cet ancien palais.
De même, les deux chapiteaux de marbre des piédroits du portail nord du transept  constituent une utilisation des débris du Palestrion, ainsi qu'un chapiteau de la seconde absidiole nord.



Une mosaïque composée de lions, tigres, griffons, et oiseaux , évoquée par Du Buisson au XVIIe siècle,  et située sous le sol du chevet actuel, serait également un débris du Palestrion (à vérifier).
L'archiviste Michel Le Grand signalait en 1933 deux futs de colonne  déposés "devant la remise de l'hôtel Fachan et dans le jardin du commandant de Roquemaure".
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La terrasse de Morlanne forme aujourd'hui un « site naturel de 3 hectares classé  par arrêté ministériel du 11 juillet 1942 pour son intérêt pittoresque et historique.

cartes postales anciennes


Saint-Sever vu depuis Morlanne