AUX TEMPS DE LA RESINE

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Plus que l'exploitation du bois, le gemmage des pins  et le traitement des produits résineux ont fait , par périodes, la fortune du pays landais, particulièrement entre 1852 et  1872, puis entre 1918 et 1929. Il est arrivé, dit-on, qu'une barrique de résine se vende plus cher qu'une barrique de vin de Bordeaux.

Le résinier 

et les résinières

estampes C de Galard (source Gallica BNF)

Les temps anciens

De fait, la résine fut la ressource la plus ancienne de la forêt landaise, dès l'Antiquité. Il est établi que la résine et la poix récoltées dans les Landes étaient  connues des gallo-romains et faisaient l’objet d'un échange commercial entre les Aquitains et les Romains sur le littoral du sud ouest de la Gaule (particulièrement chez les Boïens du pays de Buch), mais aussi avec l'Espagne et l'Armorique. L'empire Romain utilisait en effet la poix, obtenue par la combustion lente du bois dans des fours creusés en terre recueillant le goudron, pour la construction navale afin d'obtenir une bonne étanchéité de la coque des navires (calfatage) ou la résistance des cordages.  D'ailleurs des sites de production de poix ou goudron des Ier et IIe siècles (restes de fours à résine) ont été découverts dans les Landes (le long de la vallée de la Leyre), et au IVe siècle, les Boïens étaient même représentés comme des gens couverts de poix (Paulin de Nole - Ausone)


Au Moyen-âge, les populations  savaient cueillir et cuire la résine pour en tirer " poix, rouzinz, bray, tormentine et encens" exportés vers l'Angleterre. 

En 1672 l'intendant de la généralité de Bordeaux indiquait que les habitants des Landes retiraient de leurs pins "térébenthine, galipot, poix, résine, brai et encens".


Les fours suédois des XVIIe et XVIIIe siècles

Au XVIIe siècle, à l'initiative de Colbert, des ouvriers suédois apportèrent dans le Marensin des fours d'un nouveau modèle à cône renversé permettant que, pendant la cuisson du bois, le goudron s'écoule dans un réservoir par un tuyau de fonte placé au fond du cône. Les ateliers et fours se multiplièrent. Cette petite industrie prit par la suite une importance grandissante au  XVIIIe siècle. Les hollandais étaient devenus de gros clients pour la "munition navale" si bien  que Bordeaux exportait environ 12 000 tonnes de résine provenant des Petites Landes, ceci jusqu' aux années de blocus de 1688-1697.

Vers 1750 apparurent les premiers ateliers de résineux pourvus de chaudières pour la fabrication de l'essence de térébenthine surtout utilisée pour la fabrication des vernis. Les fours dispersés dans la forêt donnaient en même temps des brais secs, gras, noirs, demi-clairs et de la poix.

A la fin du XVIIIe siècle, les marchés de Dax et Saubusse recevaient chaque année environ 112 000 quintaux de résine et brais secs ou gras, 24 000 quintaux de goudron, et 12 000 quintaux d'essences de térébenthine, une autre partie étant convoyée vers Bordeaux. En 1794,  l'ensemble de la production était évalué à 266 784 quintaux.


L'essor de la distillation

 Dès le XVIIe siècle on a commencé à distiller la térébenthine dans des alambics en cuivre, afin d’obtenir l’essence, technique introduite par les hollandais.(en 1749 à Escource, en 1755 à Biscarrosse). C’est ainsi que progressivement vont se créer de véritables distilleries dans des ateliers où on va produire en continu l’essence de térébenthine mais aussi  des brais et colophanes.

 La distillation de la gemme ne  connut son véritable essor qu'au début du XIXe siècle avec le développement du massif de pin et la forte extension de la production de résine. De nombreuses distilleries furent crées et l'essence de térébenthine était alors expédiée vers les ports de Bayonne et Bordeaux pour être ensuite exportée vers divers pays ( Espagne, Angleterre, Hollande, Allemagne…). Cohabitaient alors des ateliers forestiers, des distilleries et fabriques des bourgs, et des ateliers dits urbains qui allaient se développer avec la mécanisation et la vapeur.

gravure C. Bonnard (source BNF)

La gemme brute  était clarifiée dans des chaudières, filtrée, puis distillée, pour en extraire divers produits consommés par l'industrie. Elle était divisée en essence de térébenthine, partie liquide incolore à l'odeur forte, et la partie solide la résine. Le résidu de la distillation produisait la colophane par filtration, et le brai. L'essence de térébenthine était employée pour les vernis, la peinture, les produits ménagers, et même la médecine. La résine solide était employée pour la fabrication de chandelles, torches, les savonneries, les colles, et le calfatage des navires.

gravure C. Bonnard 1838 (source BNF)
 

L'invention du pot de résine Hugues

Jusqu'au  milieu du XIX e siècle,  l'exploitation de la résine se faisait presque partout suivant le vieux procédé qui consistait à la recueillir dans un trou appelé "crot" creusé au pied de l'arbre. Le pin donnait alors de la résine molle au pied de l'arbre,  et du galipot (ou barras), pate molle visqueuse de couleur blanche adhérent à l'arbre et enlevée avec un racloir. La gemme recueillie était transportée dans des sceaux jusqu'à de grands baquets, puis  exposée au soleil avant d'être transportée dans des barriques, et transformée en essence de térébenthine.

Vers 1860, on adopta le système de Pierre Hugues  (ancien avocat bordelais reconverti en fermier qui avait  breveté le pot a résine en 1844). Au moyen de longs clous, on fixait à l'arbre de petits pots de terre cuite, vernissés à l'intérieur, dans lesquels la gemme s'écoulait grâce à une lame de zinc enfoncée dans l'écorce. Ce système permettait de recueillir une résine avec moins d'impuretés, et une amélioration de sa teneur en essence de térébenthine.  Ce pot suivait chaque année la montée de la carre.



Mais, avec la grande concurrence des produits venus des états du sud des USA, la production landaise ne représentait que 12 000 tonnes sur les  100 000 tonnes d'essence de térébenthine consommées annuellement par l'industrie mondiale. Et ainsi, les USA réglaient les cours des marchés de résineux de Londres et Anvers dont dépendaient ceux de Paris, Bordeaux et Dax.

Le coup de fortune de 1861 -1872 

La  guerre de Sécession, en arrêtant presque totalement les expéditions de produits résineux américains vers l'Europe, entraina une pénurie mondiale et une hausse considérable des prix  qui imprima une impulsion remarquable à cette activité. La production de 40 millions de litres de gemme en 1857 passa à 100 en 1900 puis 178 en 1920. La barrique de gemme de 225 litres qui s'était maintenue de 1842 à 1861 à un prix courant de 30 francs, atteignit 200 francs pendant les années 1861 à 1865. Les exportations landaises se développèrent alors sur une très grande échelle vers l'Angleterre la Belgique, l'Allemagne, la Russie, les Pays Bas, la Suisse, l'Algérie et les colonies, l'Espagne, par les ports de Bayonne et Bordeaux. Ce fut une véritable aubaine pour les propriétaires de forêts. Le pin des Landes était  devenu "l’arbre d’or".

sources Gallica BNF

C'est l'époque durant laquelle l'exploitation forestière s'imposa définitivement au détriment de l'activité traditionnelle des parcours et parcs de moutons.

L.A. Longa - l'Illustration 1847


Cela ne dura pas. Avec la fin de la guerre et la reprise des exportations américaines , il y eut une forte baisse. Le prix de la résine prise au soleil  qui était monté à 60 et même 75 centimes retomba à 20 ou 25 centimes. L'essence de térébenthine  qui était passée jusqu'à 200 francs retomba à 60 à 70 francs les 100 kgs. Mais la production était triple.

 1918-1929 -Un nouvel âge d'or

La barrique de résine qui valait 84 francs en 1913 fut payée 600 francs en 1920 pour atteindre 1200 francs les années suivantes. 100 millions de litres de gemme étaient récoltés dans les premières années du XXe s et jusqu'à 178 millions lors de la campagne de 1919-1920, 165 millions pour celle de 1925-1926.

Les grands propriétaires de pignadas faisaient fortune, les communes propriétaires augmentaient leur budget  et modernisaient leurs équipements,  et les résiniers devenaient relativement plus aisés (Encore que cette prospérité s'accompagna de conflits sociaux entre les propriétaires et leurs métayers). A l'initiative des syndicats de gemmeurs, des coopératives résinières se développent.

"usine de résine
"


distillerie au musée de Luxey





1930-1990 - Le déclin et la disparition

En 1936 les forêts de pins couvraient 462 400 ha dans les Landes, pour une récolte de 700 000 hectolitres de résine.

Mais la baisse qui suivit la crise économique de 1929, bien que progressive, fut inexorable. A partir des années 1950, les produits issus de la résine furent de plus en plus supplantés par les produits de synthèse issus de la distillation du pétrole, puis affectée par la concurrence persistante des USA puis du Portugal. Le véritable déclin entamé  dans les années 1960 se poursuivit jusqu'aux années 1970, et les distilleries de résine disparurent presque totalement.

Tout cela aboutit à l'abandon complet de l'activité "résinière" en 1990.

Extrait de A. Violette - Dunes et Landes de Gascogne

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Petit lexique

Le galipot ou barras - gemme solidifiée en coulée blanchâtre le long de la carre

La résine molle - résine liquide recueillie dans les pots et destinée à être distillée

Le brai sec ou rousine - Résidu de la distillation, résine jaune sans eau moulée en pains qui entrait dans la fabrication des vernis, peintures, papiers, à enduire les cordes des instruments de musique, ou servir au carénage des bateaux. La colophane était obtenue par filtration du résidu.


La résine jaune - Mélange de brai sec et d'eau obtenu en chauffant la résine molle dans une chaudière de cuivre, puis additionnée d’un peu de barras et d'eau , brassée, et coulée et formée en pains de 60 à 110kgs. Elle était utilisée dans la savonnerie, les colles, pour le vernissage des mats et superstructures de bateaux mais surtout, parfois mélangée avec de la cire,  pour la production de flambeaux et des fameuses chandelles landaises transportées à Bordeaux puis en grande partie  expédiées en Bretagne pour l'éclairage des chaumières.

La térébenthine - Sirop doré issu de la cuisson du galipot et de la résine molle, à l'origine au soleil, puis à la chaudière.

La tormentine ou huile de térébenthine du soleil - Substance liquide, non cuite, semblable à une huile, sorte de résine épurée. Des réservoirs à double fond et remplis de galipot étaient exposés en plein soleil. Sous l'action de la chaleur, la tormentine se dégageait et s'écoulait entre les madriers  disjoints, jusqu'à une auge extérieure d'où elle était transvasée dans des barriques entreposées ensuite chez les négociants. .


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Deux descriptions détaillées du gemmage et de l'exploitation de la gemme.

En 1755 _ H.L. Duhamel du Monceau -Traité des arbres et arbustes qui se cultivent en Fance... Tome 2 page 147 à 151 ( Manière de retirer le Galipot, la Térébenthine, son huile, le Brai sec et la résine, suivant la méthode qui se pratique aux environs de Bordeaux).

En 1864 - E. Samanos -Traité de la culture du pin maritime : comprenant des études sur la création des forêts, leur entretien, leur exploitation, et la distillation des produits résineux  -



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