LA LEGENDE DE TURPIN


Souvenons nous des vieux livres d’Histoire de France illustrés. Après les Gaulois et Clovis venaient Charlemagne, les Sarrasins ou Vascons, et Roland à Roncevaux, son olifant et Durandal, le massacre de l’arrière garde ....Parmi les preux chevaliers de cette épopée diffusée par les chansons de gestes, dont la fameuse chanson de Roland, figurait l’archevêque Turpin, un des douze pairs de Charlemagne. La légende médiévale, écrite trois siècles plus tard, nous indique qu’il est mort à cette funeste bataille de Roncevaux, donc le 15 août 778, le dernier avant Roland.



Or, certains écrits indiquent qu’il aurait été inhumé en l’abbaye de Saint Jean de Sorde, et même que Charlemagne en personne aurait assisté à ses funérailles La tradition locale porta ensuite que Sorde avait été fondée auparavant par ledit Charlemagne, se rendant en Espagne. L’église en question aurait été consacrée par Turpin lui-même, en présence du pape Léon (or celui-ci ne fut pape qu’en 795), et c’est au retour de l’expédition que s’y serait déroulée la cérémonie des funérailles (Chroniques du XIe siècle du moine Rodulfus Glaber)

La version rimée de la chanson de Roland cite bien le passage de Charlemagne à Sorde:
Li rois chevauche, qi s’est mis el retor
Par la gastine envers Terre maior
François regretent durement lor seignor …
Vindrent a Sorges, la hebergent le jor
Sor la riviere qui fu de grant laor.
(On y montre encore un chemin taillé dans le roc qui porte le nom de Camin de Charlemagne).

Le lieu désigné comme Villa sancti Johannis Sorduae est mentionné par le Guide des pèlerins et la Chronique de Turpin qui évoque l’édification d’une église dédiée à Saint jacques « inter urbem quae vulgo dicitur Axa et Sanctum Johannem Sorduae via jacobinata » ( ? entre Dax et Sorde, sur la voie jaquaire, il y a Cagnotte)

Un premier document daté à Dax de la dixième année du règne de Charlemagne, soit bien 778, raconte comment Charlemagne se rendant en Espagne donna à un abbé Othon des terres entre les deux gaves pour la construction d'un monastère et d'une église en l’honneur de Saint-Jean Baptiste pour que l’on y prie pour le salut de son âme et la victoire (Publié dans les Monumenta Germaniae Historica, Diplomata Karolinorum tome I p.314)

Un second daté du IV des calandres de septembre, en la quatorzième année du règne, soit en 800, y  mentionne bien l’archevêque Turpin qui aurait consacré l’église et dont le corps y aurait été rapporté pour être enterré après la défaite de Roncevaux (Publié dans les Monumenta Germaniae Historica, Diplomata Karolinorum t I p.567)

 "Il y déposa dans un sépulcre neuf, l'archevêque Turpin, son maître, en pleurant et en gémissant, et entouré de tous ses hommes qui se frappaient la poitrine, s’arrachaient les cheveux, et sanglotaient. Il l'embauma dans les aromates, l’ensevelit à grande douleur, et lui fit adieu. Pour l'amour de lui, il fit au monastère fondé par lui et à Saint-Jean de grands dons......."

Sur ces bases, une charte datée de 1120 par Guillaume VI duc d’Aquitaine confirma ces circonstances, attestant de l’antique origine de l’abbaye de Sorde, de la protection et des dons de Charlemagne (cf  le Cartulaire de Saint Jean de Sorde)

Dans ses Mémoires et recherches de France et de la Gaule Acquitanique, le poitevin Jean de La Haye baron des Couteaux,  écrit en  1581 :
" Lorsque Charlemaigne fist ensepulture l'archevesque Turpin et plusieurs autres de ses bons serviteurs en l’abbaye de Sordre, près d'Ax, au pied des Monts Pyrenees, les dicts Ranulphe et Albon y estoient presens, comme le porte la pancarte (charte…aujourd’hui perdue) de la fondation de Charlemagne, qui les met frères de son bon parent Samson, duc de Bourgogne. Laquelle pancarte j'ai veue entre les mains du sieur d'Achiles, abbé dudit lieu et ici l'insererois, si j’en avois copie"



Malheureusement, les deux premiers documents, dont on ne connaît d’ailleurs que des copies modernes du XVIIIe siècle (BNF-coll. Baluze- 40 fol 421), se sont avérés de faux diplômes apocryphes fabriqués à la demande des abbés du XIe siècle. Ils sont postérieurs à 1050 et doivent avoir servi  la lutte des moines de Sorde désireux de s’affranchir de leur maison mère ou, a tout le moins, consolider ensuite leur victoire et émancipation puis l'attrait du lieu..

En effet, à cette époque, les moines et clercs des abbayes situées sur les chemins de Compostelle cherchaient ainsi, par le moyen des tombeaux vénérables qu’ils gardaient, surtout de ces héros carolingiens chrétiens morts en martyrs, d’exercer une forte attraction sur l’imagination et la ferveur des pèlerins.

De fait, l’abbaye prétendue fondée par Charlemagne, n’est pas encore citée parmi les monastères de Gascogne par la Notice arrêtée à l’assemblée tenue à Aix en 817 sous Louis le Pieux. Elle ne fut fondée que vers la fin du Xe siècle. Elle n’apparaît que vers 975, lorsque Guillaume Sanche, comte de Gascogne lui donne l’église de Sainte Suzanne près d’Orthez. D’ailleurs, elle ne s’est émancipée de sa maison mère de Saint Michel de Pessan (près d’Auch) que dans la seconde moitié du XIe siècle

C est aussi un faux, 
(fait d'après une tapisserie de Dominique Tixhon)
http://lachansonderoland.d-t-x.com

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Selon une première version de la Chanson, Roland, son compagnon Olivier, et Turpin auraient été ensevelis dans la basilique Saint-Romain de Blaye, la nécropole des rois Mérovingiens d'Aquitaine, dont les ruines archéologiques découvertes en 1969 dans le glacis de la citadelle sont encore visibles. Mais on dit que lorsque, en 1526,  François 1er fit ouvrir le sarcophage vénéré par les pèlerins,  il ne trouva qu’un  petit tas d’osselets.
Passet Girunde a mult granz nefs qu'i sunt; 
Entresque a Blaive ad cunduit sun nevold 
E Oliver, sun noble cumpaignun, 
E l'arcevesque, ki fut sage e proz. 
En blancs sarcous fait metre les seignurs : 
ASeint Romain, la gisent li baron;

Mais des versions postérieures n’y mentionnaient plus Turpin. Dès cette époque, Vienne sur le Rhône disputait alors à Sorde l’honneur de posséder son  tombeau. Le Codex Calixtinus mentionna la découverte du sarcophage et l’authentification de ses reliques (Evident, puisque le pape Calixte II y fut évêque !)

L’olifant de Roland aurait quant à lui été déposé par Charlemagne dans l’église Saint-Seurin de Bordeaux. Il a disparu ! (Mais les églises Saint-Orens d’Auch, Saint-Sernin de Toulouse,  ou Saint-Trophime d’Arles,  le revendiquent aussi)

Vint a Burdeles, la cité de 
Dessus l'alter seint Sevrin le baron 
Met l'oliphan plein d'or e de manguns : 
Li pelerin le veient ki la vunt.

C’est à Belin (peut-être à Mons) que le Guide des pèlerins situait, dans un seul tombeau, les dépouilles d’Olivier, de Gondebeuf roi de Frise, d'Ogier roi de Dacie, d'Arestanz roi de Bretagne, de Garin duc de Lorraine, et d'autres compagnons.
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Le vrai et historique archevêque Turpin, ou Tilpin, serait mort, de sa belle mort, bien après la bataille de Roncevaux ; pour les uns en 794, pour d’autres le 2 septembre 800, voire  enfin en 806. On doit convenir que le Turpin de la chanson de Roland, des Chroniques et leurs multiples compilations et transcriptions, et du Livre IV du Codex Calixtinus, est bien un héros inventé. Reste donc à savoir ce que pouvaient montrer les moines escrocs de Sorde aux pèlerins crédules



sur l'abbaye de Saint-Jean de Sorde


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