LES TETES COUPEES DE L'AN II




La Terreur qui sévit en 1793 et 1794 fut un pouvoir d'exception reposant sur la force et la répression contre les ennemis de la Révolution. C’est ainsi que dans le nouveau département des Landes, une commission extraordinaire fut formée, présidée par un certain Cossaume, pour juger les suspects prévenus d'intelligence avec les prêtres réfractaires et les émigrés, ou ayant attenté à la sûreté générale et avili la représentation nationale, et, de manière générale tous ceux soupçonnés d’être des contre-révolutionnaires et conspirateurs. Cette commission n'était que en fait que l'instrument des deux Représentants du Peuple en mission, nommés Jacques Pinet aîné et Jean-Baptiste Cavaignac, députés de la Convention chargés par le Comité de Salut Public de porter dans les Landes l'esprit du jacobinisme de Robespierre et lutter contre le fédéralisme, et Représentants du Peuple près l' armée des Pyrénées Occidentales et les départements environnants.


En mars 1794, Pinet et Cavaignac font part au Comité de Salut Public de la découverte d'un plan de guerre civile devant s'allumer dans le département des Landes, "préparant une nouvelle Vendée", précisant qu'à Dax les aristocrates professaient hautement le royalisme, et que dans le district de Saint-Sever, de nombreux citoyens qui s'étaient soustraits  à la réquisition de la levée en masse, et des déserteurs, se cachant le jour dans les bois, étaient reçus la nuit dans des maisons aristocrates.

Au mois d'avril de la même année, on lui dénonça une conspiration dont le but était d'insurger le département des Landes, pour porter la guerre civile sur les derrières de l'armée française, tandis qu'elle serait attaquée de front par les Espagnols.


S’ouvrit alors une frénétique chasse aux suspects appuyée par les gardes nationales, une compagnie de gendarmerie puis un escadron de dragons. On arrêta les ci-devant nobles, les prêtres réfractaires, les parents, les proches de ceux qui se cachaient, on fouillait, on espionnait. Les prisons accueillirent vite plusieurs dizaines de ces prisonniers, plus d’une centaine à Saint-Sever, souvent d’ailleurs dénoncés par jalousies, conflits, ou vengeances personnelles.

Dès le 26 mars 1794, les Représentants du Peuple indiquaient à la Convention avoir "fait empoigner près de quatre vingt de ci-devant nobles et seigneurs".

Un arrêté pris à Dax en mars 1794, décida « qu'il serait construit une guillotine, et, qu'elle serait placée en permanence dans le lieu le plus fréquenté par les aristocrates. ». De fait, elle voyagea entre Saint-Sever, Mont-de-Marsan, Tartas, et Dax.

Devant la Commission extraordinaire

Les premières victimes furent parmi les nombreux prêtres réfractaires ayant refusé de prêter serment à la constitution civile du clergé. Ainsi :

- Jean-Pierre Nautery, prêtre réfractaire ancien curé de Castendet et de Maurrin, dénoncé, arrêté en juin 1793 puis condamné par un jury militaire, est exécuté à Saint-Sever le 28 octobre 1793.

Dominique Cabiro, vicaire de Samadet, arrêté à Monségur, le 11 septembre 1793, transferé de Saint-Sever à Mont-de-Marsan, condamné par le directoire du district le 22 octobre 1793 et exécuté le 29, date d'arrivée de la guillotine venue de Saint-Sever.

- Pierre Depau de Saint Sever, barnabite du diocèse d'Aire, conduit dans le fort du Ha à Bordeaux en 1793, puis transporte malade à l'hôpital Saint André où il meurt le 16 décembre 1794


exécution de prêtres réfractaires




MONT-ADOUR, ci-devant SAINT-SEVER


Mais c’est entre le 24 mars et le 5 avril 1794 que tombèrent le plus de têtes, une vingtaine, sur la place du Tour du Sol alors nommée place de la Liberté, face à l’église abbatiale, suite aux condamnations prononcées par le Tribunal révolutionnaire qui tint ses séances du 2 au 16 germinal de l'an II (24 mars au 16 avril 1794) dans un bâtiment de l'ancienne abbaye donnant sur la place. Les exécutions avaient lieu immédiatement après le prononcé des sentences.


le 24 mars 1794

Les premiers conduits sur l’échafaud et la guillotine "toute neuve" furent trois notables dénoncés et accusés d'être des chefs de la  conspiration

- Arnaud Dumartin, (38 ans) huissier public, de Samadet, en raison de sa correspondance avec un abbé Juncarot, prêtre émigré réfugié en Espagne, pour assurer les espagnols du soutien du pays, et ainsi tendre à "former une nouvelle Vendée dans le département des Landes". Par ailleurs dénoncé par un certain Lalaude, officier municipal, et accusé d'avoir falsifié le registre des naissances et baptêmes de sa commune afin de soustraire un citoyen de la réquisition de la levée en masse.

- Jean Dumartin, son frère, déserteur du 2eme bataillon des Landes, ayant en outre voulu s'opposer à son arrestation, est également condamné à mort et exécuté.

Jean-Pierre de Lartigue (32 ans), ci-devant baron de Sorbets, de Samadet, complice des précédent pour protéger l'entrée des espagnols sur le territoire de le République.

- Joseph d'Arbins (44 ans), de Serres-Gastons, avocat ci-devant maire de Samadet, accusé de trahison pour avoir favorisé la désertion donné asile à des déserteurs, et  de menées contre-révolutionnaires.

le 25 mars 1794

Ce fut le tour de deux hommes accusés de complot en faveur des espagnols ennemis de la République

- Jean Marie Espiau de Lamaêstre (48 ans), garde du corps, gendarme de la garde nationale, de Bourdos près de Geaune.

- le baron André de Bruix (44 ans), celui-là même qui avait présidé l’assemblée de nobles à Dax en 1789, saisi dans son château près de Geaune.

le 26 mars 1794

- Jean Lalaude (49 ans), vigneron à Audignon,  accusé d'avoir fomenté des troubles à l'époque du recrutement des volontaires, et d'avoir troublé les assemblées de sa commune.

- Antoine Morlanne (48 ans), agriculteur et ci-devant maire de Poudenx, qui aurait favorisé les déserteurs, abusé de ses fonctions, et mené une conduite contre-révolutionnaire constante.

le 27 mars 1794

- Antoine de Batz (62 ans), noble, lieutenant colonel et chevalier de St Louis, de Saint-Sever, chez qui on trouva des numéros de l'Ami du roi et une lettre de Louis XVI. Accusé de vouloir favoriser l’entrée des espagnols, il est exécuté le lendemain de son arrestation

- Jean Monsegur (23 ans), laboureur natif de Clèdes , qualifié de mauvais citoyen, trois fois déserteur du 4eme bataillon des Landes, errant et vagabond, toujours armé d'un sabre et d'un fusil.

le 28 mars 1794

- Pierre Grat de Chambre, ci-devant baron d’Urgons, carabinier, qui avait un temps échappé aux recherches, fut condamné pour appartenance à sa caste des privilégiés soupçonnées de vouloir attenter à la souveraineté nationale. La veuve Marie Larquier, fileuse à Urgons, qui lui avait donné asile et chez laquelle il a été arrêté,  fut condamnée à être exposée sur la guillotine pendant quatre jours, une heure durant, avec l'écriteau "receleuse de conspirateur', puis à six mois de prison.

- Jacques Monnet (22 ans), natif de Soustons, se disant capitaine en second du 5eme Régiment de cavalerie, accusé d'avoir fabriqué de fausses feuilles de route ou congés pour favoriser des désertions, de vol de chevaux et d'usurpation du titre de capitaine, etc... Il devait  être exécuté à Dax pour servir d'exemple, mais le fut à Saint-Sever.

le 30 mars 1794

- Paul Henri Alexis de Labernade (56 ans), ci-devant seigneur de Vignolles et Marioulet, ancien garde du corps de Louis XV, demeurant à Meracq (64), ami du baron d’Urgons et beau-frère du baron de Bruix déjà exécutés, pour avoir tenu des propos contre révolutionnaires et troublé les assemblées de sa commune.

le 2 avril 1794

- Joseph de Pomiès (60 ans), ci-devant seigneur de Bourdens, à Perquie, qualifié de contre révolutionnaire, pour mauvaise conduite et gaspillage de provisions.

.le 3 avril 1794

Benoit de Basquiat-Pehosse (82 ans) de Saint-Sever, chevalier, ancien capitaine au régiment de Roi-infanterie, accusé d'avoir entretenu une correspondance active avec ses deux fils émigrés, condamné et exécuté sur le champ.

- Bernard d'Abbadie d'Espaunic, chevalier de Saint-Louis originaire de Doazit, accusé d'avoir formé le projet de favoriser l'entrée des espagnols, se jeta par la fenêtre de la prison pour ne pas comparaître devant le tribunal, puis tenta de se tuer de deux coups de couteau à la gorge Il est quand même jugé, condamné et exécuté le 4 avril 1794.


le 5 avril 1794

- Salomon Mericamp (42 ans), cultivateur de Saint-Sever, ancien député à l’Assemblée législative, pour avoir cherché à avilir la Convention nationale en prétendant qu'elle n'était pas libre mais avait été forcée par les baïonnettes, et avoir donné asile à un aristocrate, et son frère Jacques, prêtre.


Le dernier supplicié est pourtant un dénonciateur et faux accusateur, dit Prouères, de Bahus Soubiran, officier de santé.

Une liste des exécutés dressée par un officier municipal y ajoute Caumale, ex seigneur de Gaube pour avoir donné asile à Jean Lannelongue emprisonné à Saint-Sever puis amené à Dax.

 On cite aussi un nommé Costedoat.

Place de la Liberté, ci-devant place du Tour-du-Sol


TARTAS




le 11 mars 1794

Jacques Dambourgez, vicaire de Labatut, réfractaire, pris chez la fille d'un boulanger de Port-de-Lanne, Anne Mouscardès, le 24 février 1794, condamné le 5 mars et exécuté le 11 mars après avoir attendu l'arrivée de la guillotine.

le 8 avril 1794

Sur le chemin de Saint-Sever à Dax, la guillotine fait une courte halte à Tartas, sur la place d’armes, suffisante pour faire trois nouvelles victimes.

- Laurent Dubayle, fils du procureur du marquis de Castelnau, vicaire de Mauléon d'Armagnac, qui avait été arrêté au début de novembre précédent dans sa maison natale de Castelnau-Tursan, chez son frère, où il se cachait.
- Arnaud Labée, chanoine de la collégiale de Saint-Loubouer, caché chez son frère à Saint-Cricq près de Villeneuve, arrêté à Gaillères selon les autres, le 15 janvier 1794 et condamné à mort le 22, et dont l’exécution avait été retardée.

- Jeanne Mouscardès, agée de 24 ans, qui avait donné asile à Jacques Dambourgez abbé exécuté le mois précédent à Tartas.

DAX

Marguerite Rutan au pied de l'échafaud ( dessin de B. Pécastaing)

Pinet et Cavaignac, les représentants du peuple poursuivent leur mission à Dax où ils arrivent le 8 avril 1794. En quatre jours, la commission installée à l’évêché fait condamner et mettre à mort une dizaine de prisonniers

le 9 avril 1794

- Jean Eutrope Lannelongue(63 ans), curé de Gaube, natif de Grenade, prêtre réfractaire qualifié de fanatique et contre-révolutionnaire, arrêté dans une maison entre Perquie et Hontanx où il se cachait, et amené depuis la prison de Saint-Sever puis Tartas. Il précède Marguerite Rutan sur l'échafaud

- Marguerite Rutan (58 ans), religieuse des dames de la Charité, supérieure de l’ hôpital Saint-Esprit de Dax, qualifiée d'aristocrate, accusée d'incivisme en ayant cherché a corrompre et ralentir l'esprit révolutionnaire et républicain des militaires soignés dans son hôpital. Elle avait été arrêtée à la fin décembre 1793, et détenue au couvent des Carmes. - Elle sera béatifiée à Dax le 19 juin 2011 -
Les deux furent exécutés sur la place Poyanne devant le vieux château, le jour même de leur condamnation, et leurs corps jetés dans une fosse commune au cimetière des Capucins.

Exécution de Marguerite Rutan ( dessin de B. Pécastaing)


le 10 avril 1794

- Jean-Pierre Laborde, curé de Tilh et Arsague

- Michel Castellan  (52 ans),natif de Siest ( fils du seigneur de La Salle) et curé de Pomarez, amené depuis Saint-Sever,

Ils furent accusés d’avoir entretenu une correspondance contre-révolutionnaire saisie à leur domicile par des membres du comité de surveillance du canton d'Amou, et d’avoir prêché le fanatisme.

- Jean Lahore-Hourquillot (43 ans), médecin, diacre et prébendier de Dax, accusé d’avoir favorisé l'émigration et trop fréquenté les aristocrates. Comble de son fanatisme, il portait en évidence l’image du Sacré-Cœur, montrant ainsi sa conviction catholique et son lien de fait avec les Vendéens royalistes !

le 11 avril 1794

- Gabriel Grateloup (46 ans), officier de santé à Dax, et sa jeune servante Daudine Darjo, dénoncés et accusés d’avoir participé à un repas d'aristocrates à Pouillon, tenu des propos contre-révolutionnaires et ainsi attenté à la sécurité de la République.

- Pierre-François de Neurisse, baron de Laluque, avocat ci-devant lieutenant général de la sénéchaussée de Dax , qui avait présidé les Etats des trois Ordres à Dax en 1789, qui correspondait avec son fils émigré a Genève, donc ennemi de la République, et Marie van Osteroom, veuve Caunègre (67 ans), complice, arrêtée avec lui.   

le 12 avril 1794

- Jean Gabriel de Casenave de Labarrèrebaron de Saint-Cricq du Gave puis de Gaujacq et Bastennes, et colonel de la Gendarmerie nationale, en prison aux couvent des Capucins depuis le 31 octobre 1793, pour correspondance avec des émigrés.

"Atteint d'une crise de goutte, il se serait rendu à son procès sur des béquilles. A la fois surpris et fou de rage à l'écoute de la sentence, il aurait voulu se jeter sur les juges. Ne pouvant les atteindre, il leur jeta les béquilles dessus, en s'écriant : "Scélérats, votre tour viendra !"

On raconta même longtemps que Cavaigac aurait  exigé le déshonneur et abusé de la jeune et jolie fille de ce prévôt de la maréchaussée de Dax contre la vie de son père, qu'il envoya néanmoins à l'échafaud après avoir obtenu satisfaction.


C'est le dernier jugement de cette commission extraordinaire dans les Landes, celle-ci ayant été appelée d'urgence à Auch à la suite d'un attentat contre Dartigoeyte.



Marguerite Rutan



D’autres condamnations ont cependant été mentionnées à Saint-Sever dans les derniers jours d’avril, par le tribunal criminel et il est probable qu'il y ait eu d'autres exécutions, comme celle de la citoyenne Lafont , de certains Machehé et Lencoac et de deux autres paysans de Vielle.


Louis Marie Prudhomme, dans son: Dictionnaire des individus envoyés à la mort judiciairement pendant la Révolution (Paris, an V) mentionne également parmi les condamnations capitales prononcées par le tribunal criminel de Landes:
- le 3 juin 1793, Pierre Dubroca, domestique domicilié à Couyon (quartier de Garein?)
- le 7 novembre 1793, un nommé Gemmier ????
- le 21 novembre 1793, Bertand Gramidon fils aîné, pour réunions et manifestations monarchiques et contre-révolutionnaires ( 8 autres accusés étant condamnées à la déportation pendant 4 ans)
- le 28 novembre 1793, Laborde, pour attroupement contre la levée en masse, et exécuté le jour même


Curieusement, Mont-de-Marsan échappa à cette Terreur.