"paysage" ! des environs de Labouheyre en 1880
(photo Félix Arnaudin)
Beaucoup se sont cassé
les dents pour expliquer de manière définitive et incontestable l’origine de ce
nom. Ce n’est pas La Bouilloire ! Ni même la Boulière comme cela figure
sur la carte de Cassini de 1767 ! Mais encore plus compliqué :
déterminer de façon certaine ce que pouvait signifier l’ancien nom de ce lieu
durant le Moyen-âge, puisqu’avant d’être nommé Labouheyre il fut longtemps
désigné Herbe Faverie.
Ce qui suit n’apporte pas
la solution des énigmes. Mais rien n’empêche d’évoquer les diverses
interprétations ou élucubrations nées des diverses variantes du nom donné à
cette commune au cours des âges par ceux qui l’ont citée.
HERBE FAVERIE
A l’origine, un petit château
y fut établi, entre celui de Belin et celui de Laharie, sur le grand chemin de
Bordeaux à Dax, un des principaux chemins vers Compostelle qui suivait le tracé
de l’ancienne voie antique Ab Asturica Burdigalam (de Bordeaux à Astorga en
Espagne)
Le lieu n’est cependant
pas cité comme étape par l’Itinéraire d’Antonin au IIIe siècle.
Ce n’est qu’en 1220 qu’il
en est, pour la première fois, fait mention dans un document écrit. Il y est
désigné comme castrum de «HERBEFAUERE »
« Rex
custodi de Herbefauere, salutem.
Sciatis quod commisimus dilecto et fideli nostro [omitted] totam terrain
nostram Pictavie et Wasconie, cum omnibus pertinenciis suis que ad nos
pertinent, custodiendam quanidiu nobis placuerit. Et ideo vobis mandamus quod castrum nostrum de Herbefaure
cum pertinenciis suis, quod est in custodia vestra, eidem Philippo
liberetis et eidem Philippo, tanquam senescallo nostro, sitis in omnibus que ad nos pertinent intendentes et respondentes.
Vosque rogamus quatinus in fide que nobis tenemini eidem Philippo consilium et
auxilium quod poteritis, ad honorem nostrum et conservationem et defensionem
terre nostre, faciatis. Ita quod ad grates vobis inde teneamur et fidem vestram
rnagis habeamus commendatam. Teste ut supra… »
Les mêmes termes sont
repris dans un acte de 1221 « Et ideo vobis mandamus quod castrum nostrum de Herbefaure cum pertinenciis suis quod est
in custodia vestra … »
(Patent Rolls of the
reign of Henri III 1216-1225 p 251 et
276 (4 nov 1222),
Les Rôles Gascons de 1254
(n° 3202) évoquent le « castrum de
Erba Faveria », où, en 1304, (n° 4645) la garnison de «Herbe Faverie ». De même, un acte
de 1373 (Archives historiques de la Gironde T XII p 339) cite le « capitaneo castri Herbe Ffaverie, super
garnisturam et tuicionem dicti castri «
On retrouve toujours, soit
les habitants, soit la baillie, soit le prévôt d’Herba Faveria ou Herbe Faverie
dans les Rôles de 1305 (n° 4931,4906,4947, 4959 et 4995)
Le château est attesté
tout au long du moyen âge. Puis une
petite agglomération naquit au pied de la motte féodale, avec ses coutumes et
libertés accordées dès 1241 par le roi duc anglais. Ainsi, en 1289 (n° 4475) il
est fait mention du « castro nostro »
et de la « clausure vero castri
de Herba Favera » évoquant une enceinte …vraisemblablement en en bois,
mais aussi (n°1087 et 1423) de la « villarum
seu locorum nostrorum Herbe Faverie » et des « hominum nostrorum habitatorum » de
la « villa ». Ce qui laisse
penser à un bourg clos. Un acte de 1304 (n° 4632) évoque la « claudendum villam nostrum de Herba Faveria
»
Ces recueils d’actes
relatifs à l’administration des rois d’Angleterre en Guyenne durant le XIIIe
siècle mentionnent le lieu à diverses reprises, mais sous de multiples
variantes. On peut ainsi y lire Herbam faveriam, Herba faveria, Herba feverea,
Herba faveira, Herba favera, herba fabaria ……
(Cf. Rôles gascons – édition Charles Bemont - Impr
Nat - 1885-1962 Tome 1 à 4 et Suppl. T
1)
Parfois le lieu est
simplement nommé Faba (n° 2219)
On trouve aussi dans Le
roman de Jehan de Paris daté de la fin du XVe siècle, et sa relation du chemin
pris par un roi de France et un roi d’Angleterre de Bordeaux à Bayonne pour se
rendre en Espagne (allusion satyrique à François 1er et Henri VIII) :
«
Ung jour comme ilz chevauchoient entre
Eibe Faviere et Bayonne, il se mit tres fort a plouvoir… »
(Edition
d’après les manuscrits anonymes par Edith Wickersheimer - Paris 1923 p 38)
Cela se perpétue jusqu’au
dernier quart du XVIe siècle avec de nouvelles variantes comme Erbafabeire ou
Erbefaveyre.
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Une carte de 1585 -
Aquitania australis regnum Arelatense cum confinijs -
de Gérard Mercator,
distingue cependant bien les lieux de "Bouhere" et de "L'herbe famée"
Les
interprétations
Herbe pourrait faire
référence à ce que pouvait être cet endroit humide et fertile en herbe au
milieu de la vaste lande déserte qui l’entourait à l’époque.
Mais pourquoi y a-t-on
ajouté Faverie ? Mystère et conjectures.
Certains ont interprété herbe
faverie comme herbe fauve, ou herbe
fanée (Chanson des pèlerins) … et même herbe à miel (du latin favus, rayon de
miel), tant il est vrai que la lande a longtemps fourni du miel.
Selon le médiéviste Antoine
Thomas, le latin herba faveria en latin aurait donné herbe favière en français
et herbe faveyre en gascon, qui serait alors un lieu planté de fèves, dérivé du
latin faba et gascon haba (fève)
Mais, en cherchant bien
on peut aussi trouver que faverie peut signifier forge à partir du latin faber,
ou que faveria fait allusion à une arme blanche de jet du genre de l’épieu de
guerre. Cette même racine latine faveria sert également de base à toutes sortes
d’insectes lépidoptères qui ferait de l’herbe faveria une herbe à insectes
rappelant les observations des pèlerins du Moyen âge (bien que les lépidoptères
soient chenilles ou papillons)
LABOUHEYRE
Brusquement, à partir de
1571 le seul nom utilisé avec quelques variantes sera celui de Laboheire (Supplique
à la reine jeanne d’Albret du 12 octobre 1571) repris par Henri III de Navarre
dans ses lettres de confirmation de 1583.
A ce sujet, l’opiniâtre
Félix Arnaudin a relevé qu’en 1254 le château était possession d’un certain
Willelmus de Boere (Rôles Gascons n°3012) ou de La Boere (Rôles gascons n°
4096) ou encore de Laboheria (Rôles Gascons n° 4295), pour le compte du roi
d’Angleterre Henri III. Reste à savoir si celui-ci aurait pu donner son nom au
lieu, ou qu’au contraire il prit le nom du lieu.
Le fait est que la
dénomination de Laboheire et ses variantes n’apparaissent sur les documents
écrits qu’au XVIe siècle
Les privilèges de la
baronnie obtenus en 1608 y qualifient le roi Henri de Navarre, duc d’Albret, de
baron de « Laboheire ». En 1711 et 1747, le duc de Bouillon, duc d’Albret, est
qualifié de baron de « Laboheyre » (d’ailleurs, le château et la motte du dit
lieu y sont encore mentionnés)
L’ancienne appellation
subsiste cependant dans L’Acta Sanctorum, vie des saints publiée en 1668,
évoquant le passage de Saint Léon dans les landes sur le chemin de Bayonne dont
il devint le premier évêque au IXe siècle. Le récit mentionne : « Quo in itinere, cum ad locum qui Fauerio
dicitur » puis, plus loin, la «
villam quae vocatur Herba-felbaria » (Acta Sanctorum – Martii- tome 1 -p
93-94)
Les interprétations
On a dit que ce toponyme
de Labouheyre et ses diverses variantes pourrait provenir d’un mot gascon issu
d’une forme vulgaire dérivée du latin bovis (bœuf) avec un suffixe aria (étable
ou endroit où on élève des bœufs) comme bovaria, bouer, bouere, bouviere, ou borie,,boyre,
boyrie, bouer, bouere, bouvière, boueyre.
Boueyre serait alors un
nom de lieu-dit désignant un endroit où on élevait des bœufs. Ce nom désignait
également à l'origine l'habitant de cet endroit. Plus généralement ce terme
semble avoir eu au cours du moyen âge le sens de ferme isolée ou métairie
(boaria). D’ailleurs, Félix Arnaudin indiquait un quartier de La Boyre semblant
justifier l’existence ici d’un important élevage de bovins
Pour d’autres, le nom de
la commune proviendrait des foires qui s’y déroulaient. Ainsi, « la bonne foire
» se disait « le boune heuyre » en patois gascon. (Elysée Reclus-Dr
Sorbets)
Il est vrai que les
foires annuelles de Labouheyre (Trinité et saint Mathieu) ont été célèbres
depuis très longtemps, mais rien ne prouve leur ancienneté que certains ont
fait remonter à l’époque gallo-romaine Cette célébrité daterait-elle alors
seulement du XVIe siècle pour en faire désigner le lieu ?
foire de Labouheyre
Une autre hypothèse
indique que Labouheyre et ses formes anciennes Laboherie ou La Boere, viendraient du gascon Haboera
signifiant
… on y revient… « Lieu propice à la culture de la fève ».
Une bouhère désigne aussi
le tertre d’une taupinière. Avec un peu d’imagination on peut alors penser à
l’impression que pouvait donner la vue de la motte du petit château dans le paysage plat de la lande rase.
Selon Bénédicte Boyrie-Fenié,
spécialiste de la toponymie de la Grande Lande, Laboheire pourait finalement
n’être qu’une altération populaire progressive depuis les variantes d’Herba
Faveria vers Herba faveyre puis Herbe fabeyre, Fabeyre, Habeyre, Habouet, Heyre,
Boheyre, Bouheyre …
C’était déjà l’opinion
d’Antoine Thomas pour qui c’était bien une évolution linguistique et non une
substitution arbitraire d’un nom a un autre qui aurait donné naissance à la
forme actuelle de Labouheyre. (Comptes rendus des séances de l'Académie des
Inscriptions et Belles-Lettres, 70ᵉ année, N. 1, 1926.)
foire de Labouheyre (F.Arnaudin)
A LIRE
Jean-Bernard Marquette -Un castelnau en terre de
franchise au XIIIe siècle : Labouheyre (Annales du Midi : revue archéologique,
historique et philologique de la France méridionale- 1990 - vol. 102-n° 189 - pp.
85-96)
Félix Arnaudin – Choses de l’ancienne Grande Lande- La
baronnie de Labouheyre -2eme série – 1923 - pp 21-34
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M. Félix Arnaudin a parlé
du Labouheyre ancien, comme un lieu de quelque importance, défendu par une
double enceinte de murs et de fossés. Il en voyait la trace au nord-est du
bourg dans « quelques tronçons d'une rue dallée, à laquelle la forme concave de
son lit semblerait assigner une origine antérieure », et non loin de cette rue
« qui sortait vers l'est par une porte à pont-levis, dont le cintre subsistait
il y a trente ans à peine », dans les « restes d'un mamelon artificiel, dont la
destination est débattue (un tumulus peut-être, lequel dès lors serait au moins
contemporain de la voie romaine) ». Ce tumulus et cette rue dallée seraient
ainsi « avec les traces de la voie romaine que l'on croit reconnaître sur le
territoire du village et auxquelles la tradition donne toujours le nom de Camin
roumiou », les seuls vestiges de cet obscur passé
« Située sur la route
qui, dès le moyen âge, suivait la direction et quelquefois le tracé de la voie
romaine, cette localité dut probablement posséder l'un de ces nombreux hospices
que saint Louis fit échelonner sur le chemin des pèlerins de Saint-Jacques de
Compostelle. Une fontaine en pierre, qu'on voyait autrefois dans le village à
quelques pas -d'un pont qui porte le nom de Pont-du-Roi et dédiée à saint
Jacques comme l’est encore l'église, datait peut-être de cette lointaine époque
».
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