Depuis le bourg qui domine la vallée de l’Adour, une petite route à forte pente, d’ailleurs nommée anciennement de la Montagne, conduit aujourd'hui à un quartier qui porte le nom de Port-de-Mugron, bien qu’il se trouve à 500 mètres de la rive de l'Adour.
C’est vrai que Mugron fut effectivement longtemps un port important sur l'Adour, et le dernier vraiment navigable en amont du fleuve. Au XVIIe siècle ce port, dit de Menet, fut le centre de la vie économique du village. Mais le cours du fleuve capricieux, souvent modifié, s'est éloigné, laissant place aujourd’hui à une base de loisirs et un camping.
C'est en ce port qu'ont longtemps transité les gabarres transportant les vins et eaux de vie de la Chalosse, du Tursan, et même du Béarn, Jurançon Madiran et Vic-Bilh, à destination de Bayonne, pour l'exportation vers les pays du nord de l'Europe. Les vins de Béarn et Jurançon étaient acheminés par des bouviers vers Saint-Sever puis ensuite transbordés à Mugron sur des bateaux plus grands. Les meilleurs vins, qui pouvaient supporter un voyage en mer, partaient en décembre et janvier pour les pays du Nord.
A leur apogée, les ports de Mugron, et plus en aval celui d'Hinx, expédiaient la plupart des 26 000 barriques annuelles embarquées sur les vaisseaux. Ainsi, en 1761, M. Megret d'Etigny, l'Intendant de la généralité d'Auch et Pau, pouvait écrire: "Il ne peut être mis en doute que le port de Mugron sur la rivière de l'Adour ne soit le port le plus essentiel de toute ma généralité".
Là, étaient les entrepôts, magasins et chais où s'activait toute une population de charpentiers de marine, matelots, pilotes, tonneliers, boeufs de halage et même un poste de police, et un octroi.
restes de chais sur la route du port
En 1779, les principaux commissionnaires dont les négociants de Bayonne se servaient pour les achats dans le pays des vins de Chalosse Béarn et Armagnac se tenaient à Mugron. Sont ainsi cités en premier lieu les frères Domenger, puis la veuve Bollen, Martin-Antoine Brethous, Samuel Lichigaray, la famille hollandaise des Van Oostrom, Saint Genez
A la veille de la Révolution, les chais des négociants de Mugron contenaient encore 15 000 hectolitres de vins en instance d'expédition. La maison Domenger fils ainé avait dans ses chais 240 barriques de vin vieux de Jurancon, Béarn et Tursan, et 1200 barriques de vin nouveau dans les magasins du Poujo, de Servat et du port.
En 1793, on dénombrait un total de 4281 barriques entreposées dans le port. De grands entrepôts et chais s'échelonnaient tout au long et au bas de la cote dite de la Montagne. Ceux du marquis du Lyon, de M. de Poyusan, du sieur Dupérier Bernadou, de Hiard et Cie, des sieurs Cassiet, Caubin, Labeyrie, Angomeau, Poyusan, Campet, Declaux, Servat ....et d 'autres cités à l'entour ( Baptistant, Clavier, Hosseleyre, Lapierre, Mora, ...)
Dans le bourg on peut encore voir l'imposant chai d'Antin du XVIIIe siècle, sur trois niveaux, coiffé d'un toit de style béarnais à tuiles picon, et surtout doté d'une impressionnante et remarquable charpente en bois de chêne..
Il aurait été édifié au milieu du XVIIIe siècle par le collecteur des dîmes affermées du prieuré de Nerbis pour y entreposer les vins et grains. Vendu à la Révolution à la famille Domenger, riches négociants en vins et propriétaires terriens, pour y entreposer vins et eaux-de vies de Chalosse destinés à l'exportation par l'Adour et le port de Bayonne, il échut par mariage et succession aux barons d'Antin et Sauveterre qui y entreposaient les récoltes de leurs métayers jusqu'au milieu du XXe siècle. Il continua à servir d'entrepôt d'engrais et produits agricoles jusqu'en 1980 avant d'être délaissé puis vendu pour abriter actuellement un magasin de décoration et galerie d'art contemporain sous l'enseigne Rouge Garance -Art et Design -.
( photo Marie-Hélène Cingal )
Autres illustrations supprimées à la demande de
Rouge Garance - Art & Design
qui "gère l'image du bâtiment"
(commerce v/s partage)
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A Bayonne, des correspondants, armateurs et hommes d'affaires, frétaient les marchandises pour Rotterdam ou Amsterdam. Des fortunes ont été gagnées à ce commerce. Ce fut le cas de la famille des négociants Domenger à Mugron (avant eux, les Lamaignère issus de Montfort installés à Dax, puis devenus courtiers et négociants à Bayonne à partir de 1630, dont est issue une véritable une dynastie de marchands du XVIIIe s)
De même, étaient les Marsan à Mugron, les Hiart à Laurède, et les Degos à Poyanne.
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Le problème est que le lit de l’Adour étant irrégulier et mobile, les bancs de sable encombraient le chenal. La navigation n y était vraiment libre que pendant quatre ou cinq mois dans l'année, excluant les mois d’été. A noter que jusqu'en 1831 le passage de l’Adour se faisait par bac, alors remplacé par un pont à charpente et à péage.
Les crues furent régulièrement dévastatrices, telle celle de 1743 qui détruisit tout le débarcadère, ou celle de 1770 qui détruisit une partie des chais, et au cours de laquelle 400 barriques disparurent au fil de l'eau. Les caprices du fleuve nécessitèrent la construction d'une digue puis, en 1749, d'un canal du Menet jusqu’au fleuve fuyant, et des remises en état régulières du chemin de halage.
Après 1834 le maire Domenger entreprit l'assainissement du port. On dessécha les marais de Caubin et l'ancien lit de la rivière dit l'Eau, en aménageant un canal pour permettre l'écoulement des eaux malsaines.
Mais la dégradation de la voie fluviale entraîna celle du trafic déjà déclinant. Seule la partie des Gaves Réunis et de l'Adour de Peyrehorade à Bayonne connut une belle activité jusqu'en 1920
Depuis, le port a été comblé par la vase et les limons des débordements. Le chenal a disparu.
MUGRON - LE PORT DES VINS DE CHALOSSE
Pendant des siècles, le transport des marchandises s'est principalement effectué en utilisant les voies de navigation naturelles sur les fleuves et rivières. Ainsi, l'Adour a été la principale voie commerciale de la région en entretenant une forte activité de transport de marchandises sur des « galupes » (gabarres landaises), permettant d'écouler la production de l'intérieur du pays, et notamment les vins de Chalosse, du Tursan et du Béarn. Cette activité perdura jusqu'à l'orée du XXe siècle où elle s'inclina devant l'arrivée du train, plus rapide et plus économique.
Les principaux ports de l'Adour étaient : Mugron, Hinx, et Dax. Mais on peut citer aussi Saint-Sever, Laurède, Onard, Saubusse.. Il convient d'y ajouter le trafic en provenance du port de Mont-de-Marsan, empruntant la Midouze avant de rejoindre l'Adour au Hourquet, peu après Tartas. Enfin, sur les Gaves réunis, étaient Peyrehorade et Port de Lanne.
Trajet Mugron - Conteau - Le Hourquet- port de Pontonx - Loriquet de Prechacq - Louts - Hinx - Pouy - Dax - Port de Mees - Leuy - Saubusse - port de la Marqueze - Rasport - Port de Lanne- Bec du gave - Bidouze - Urt - Larbeau –Bayonne.
Lorsque les eaux étaient suffisamment hautes, il fallait six heures pour descendre de Mugron au Hourquet (confluent Midouze) et huit heures à la remontée. Mais lorsque les eaux étaient près de l'étiage, les bateaux employaient un jour et demi pour faire le même trajet à la descente. Les gabarres ne faisaient qu'un voyage par semaine, car il fallait trois jours de navigation pour atteindre Bayonne.
L'importance du trafic fluvial exigeait de nombreux bateaux sur l'Adour. Les embarcations traditionnelles, dites galupes, appellation locale des gabarres, étaient des grandes barques à fond plat et faible tirant d'eau de nature à naviguer sur des eaux peu profondes en évitant l'obstacle des hauts fonds. Utilisées jusqu'au début du XXe siècle. Elles descendaient l'Adour en s’aidant du courant et la remontaient au halage, (la « chirgue ») tirées « à cordelle » depuis le chemin de halage par la traction des attelages de bœufs (ou chevaux, et parfois bateliers eux mêmes).
Ces embarcations exigeaient parfois d’énormes avirons. Les plus lourdes utilisaient aussi le vent par une voile de forme rectangulaire montée sur mat au quart avant. Des perches courtes, étaient utilisées par appui au sol pour les manœuvres d'accostage.
Avec cinquante à soixante tonnes de port possible, ces galupes pouvaient transporter jusqu'à 30 barriques chalossaises. (La barrique chalossaise contenait 304 litres – Une pipe de vin correspondait à deux barriques – le vin exporté se vendait au tonneau équivalent à quatre barriques).
D’autres embarcations comme les chalands ou les couralins, manoeuvrées à la godille ou à l'aviron, parfois à l'aide d'une voile aurique, étaient utilisées pour des charges plus modestes. Les "tilholes" étaient utilisées pour le transbordement des marchandises.
Les vins de Chalosse
L'essor des vignes chalossaises remonte à l'époque de la domination anglaise, à compter des XIII et XIVe s, et provoqua un important débouché et courant d'échanges commerciaux avec l'Angleterre. Déjà en 1304 Bayonne envoyait 1000 tonneaux de vins (8500 hl) à l’occasion du couronnement d'Edouard II.
La Chalosse produisait des vins en abondance et jouissait d'une renommée certaine. La vigne était alors le principal revenu terrier, mais la surproduction nécessitait l'impératif des débouchés de l'exportation pour empêcher des cours trop bas.
Après l’époque des Anglais, l'apogée intervint au XVIe siècle et se poursuit plus ou moins au XVIIe.
On peut citer François 1er qui, en septembre 1516, donne commission à un contrôleur des officiers de sa maison pour se rendre dans les vignobles de Chalosse et y acheter des pipes de vin à amener franches de tout droit au château d'Amboise pour la provision de l’hôtel du roi
Les vins et eaux-de-vie étaient surtout exportés vers les pays du Nord, les Pays-Bas espagnols, la Prusse, la Suède, la Hanse. Les négociants avaient des rapports commerciaux avec Hambourg, Brême et autres villes du nord. Ainsi, plus tard, un des frères Domenger fut autorisé en 1793 à séjourner deux ans en Allemagne pour y apprendre la langue et soutenir les affaires. Les commis parcouraient la Hollande, la Belgique et l' Allemagne
A la veille de la Révolution, Bayonne recevait 12 000 pièces d'eau-de-vie dont celle du Bas-Armagnac acheminées par voie de terre jusqu'à Mont de Marsan et puis par la Midouze et l'Adour (32 000 barriques en 1629).
Les bouviers transportaient les barriques sur les difficiles chemins rouliers, souvent accompagnées d'un homme de confiance qui "ouillait" pour garantir le niveau de remplissage des fûts, et parfois embarquait jusqu’à Bayonne.
Le vin de qualité moindre, tel que ledit Piche-Bernat provenant du cépage piquepoult qui fut planté dès les années 1760, ne pouvait qu’être consommé localement. Le surplus de ce vin commun de bas prix, produit principalement autour de Mugron, Laurède, Poyanne et Saint-Geours, était alors "brûlé". Ainsi, en 1666 il y avait déjà en Chalosse soixante chaudières pour en faire de l'eau-de-vie. C’est ce qu’écrivait M. Labord-Péboué de Doazit, précisant qu'on brûlait chaque jour cent barriques.
Au début du XIXe siècle, les vins de Chalosse occupaient encore une place honorable. Mais dès 1782 l’Intendant Dupré de Saint-Maur évoquait la décadence du port de Bayonne. Or, la Chalosse restait dépendante de son activité commerciale. Sous la Restauration, Bayonne n'exportait plus que 4 000 pièces de vin et 3 000 pièces d'eau-de-vie. Puis, après 1810 le système des droits de douanes a contribué à détruire le débouché des pays du nord.
Au milieu du XIXe siècle (1866), plus de 20 000 hectares de vignes produisaient environ 469 000 hectolitres, en grande majorité de blanc (360 000 hl). Mugron comptait encore 1 800 hectares de vigne produisant en moyenne 70 000 hl de vin par an.
Mais ce XIXe siècle fut aussi l’époque des crises viticoles, des ravages de l'oïdium en 1853, puis du phylloxera. L’extension des plantations de piquepoult qui remplacèrent les anciens cépages arrachés, ruina la réputation des vins. Sa trop forte progression provoqua en effet le déclin des cépages de qualité, et les vins chalossais devenus ordinaires furent alors concurrencés par les vins du midi. Parfois même la spéculation avait provoqué quelques falsifications, mélanges ou coupages, ayant contribué à discréditer la production.
En 1843, l'économiste Frédéric Bastiat, enfant du pays, se lamentait sur la disparition des maisons de commerce et de la navigation qui avaient répandu l’aisance et étaient la source de bien des fortunes en Chalosse. Tout cela disparu, disait-il, avec la liberté de l’industrie et des échanges dont il était pourtant un fervent partisan.
L’essor des vins de Bordeaux acheva cette décadence, et le vignoble landais retomba dans l’anonymat. De toutes façons, le chemin de fer finit par faire disparaître le commerce fluvial de l'Adour
vue du port de Bayonne au XVIIIe siècle
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LIRE
F Brumont -Bayonne et le commerce des vins de Chalosse aux XVII et XVIIIe s - Bull Borda- 1997.
L.Larbaigt - Les Derniers gabariers et les derniers pêcheurs de l'Adour - Marrimpouey 1977.
G. Kerlorc'h - La batellerie de l'Adour en images, du XVIIe siècle à nos jours -ed Cairn 2012.
V. Lagardère - Commerce fluvial sur l'Adour du XVIIe au XVIIIe siècle - ed. L'Harmattan 2016.
Mugron
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Un peu en aval se trouvait également le port de Bonhil à Laurède, près du lieudit Cap du Bosq. Il n en reste rien sauf de grands chais encore visibles , tel le grand entrepôt dit de Larribère, imposante bâtisse de quarante mètres de long.
le chai Larribère, hier
et aujourd'hui
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