Oui, même s’il n'est vraiment pas évident de le constater aujourd'hui, Gamarde fut bien une place fortifiée, un château, disputé entre le parti Français et le parti Anglo-gascon pendant la guerre de Cent Ans.
La consultation
par hasard des fameux Rôles gascons dressés par l'administration royale
anglaise au sujet de l'Aquitaine, qui se trouvent aujourd'hui aux Archives
nationales de Kew (Grand Londres) permet de s'en assurer. On y découvre en
effet les traces qu’en ont laissé les anglais et leurs soutiens gascons.
Ainsi, constate-t
‘on qu'en 1289, Raymond-Robert, vicomte de Tartas recevait d'Edouard 1er
d'Angleterre le droit de haute justice dans le château (castrum) de Gamarde (Cf.
Charles Bémont - Rôles gascons t 2 p 422 n°1359)
Cette possession
des vicomtes de Tartas échut à Amanieu VII, sire d'Albret, qui en prit possession
en 1312.
Plus tard, Ramon Durand, nommé en 1324 sénéchal des Lannes pour l'Angleterre, sous
Edouard II, s'opposait au sire d'Albret et ses hommes de la garnison de
Gamarde, à la tête d'une suite de dix hommes d'armes à cheval et de
soixante fantassins qui garnissaient la forteresse de Saint-Geours d'Auribat.
On voit également ce
même Ramon Duran attaquer le château de Clermont, aux côtés de quelques
fervents partisans du roi-duc comme Bernat de Béarn ou Bernat de Saint-Cricq. Mais il est tué lors de l'assaut de la
petite bastide dite de Pont-la-Reine à Labastide-Chalosse, dans laquelle
s'étaient retranchés les bâtards de Caupenne et de Poudenx. (Guilhem Pepin -
Ramon Durand of Toulouse - in Fourteenth Century England VII - ed W. Merk
Ormrod -2012 p 79 et 83)
En février
1437 le roi d'Angleterre ordonnait au sénéchal d'Aquitaine, au connétable de Bordeaux,
et au sénéchal des Lannes, de remettre la seigneurie et la forteresse (« fortalice »)
de Gamarde à un certain Sansson de Monbrun. Elle lui avait été accordée, en
raison de ses bons services à Henri V en Normandie et à Henri VI en Aquitaine,
le 7 juillet 1430, alors qu'elle était encore occupée par les ennemis français.
Après un
siège des Anglo-gascons auquel Monbrun participa à ses frais au côté du
sénéchal (et avec l'aide des Bayonnais), ce dernier avait en effet refusé de
lui livrer après sa prise aux ennemis en juillet 1435.
https://www.gasconrolls.org/edition/calendars/C61_123/document.html#it123_08_01f_056
26 février 1437 - Source :
https://www.gasconrolls.org/edition/calendars/C61_127/document.html#it127_15_11f_007
Manoir de Lambeth. Accorder à nouveau au bon plaisir du roi à Sansson de Monbrun la seigneurie et la forteresse de Gamarde dans la sénéchaussée des Landes. Autrefois le roi lui avait accordé le 7 juillet 1430 cette seigneurie et forteresse, alors occupée par les ennemis du roi, et ayant une valeur annuelle de 20 l. de l'argent anglais. Et après cette concession, cette forteresse de Gamarde fut assiégée par le sénéchal du roi des Landes et Monbrun fut en compagnie de ce sénéchal à ses frais pendant tout ce siège jusqu'à sa soumission à l'obéissance du roi. Par la suite, Monbrun a demandé au sénéchal des Landes l'exécution des lettres patentes du roi, mais ce sénéchal a refusé de lui livrer Gamarde, aussi Monbrun a demandé au roi d'y remédier.
Ainsi conquise en 1435 par Jean Holland, comte d'Huntingdon,
lieutenant du roi en Aquitaine, contre la garnison française de Jean IV comte
d'Armagnac, la seigneurie et forteresse (fortalice) de Gamarde fut ensuite
accordée à titre viager à l'anglais James Harsage, lieutenant du château de
Dax, par lettres patentes du 16 janvier 1438, puis à titre perpétuel par le
comte de Huntingdon le 14 octobre 1439, confirmé par le roi le 27 mai 1441. Ce
James Harsage était ainsi également récompensé de sa participation au siège
avec sa compagnie de cinq-cents hommes d'armes, entretenue alors pendant neuf
semaines, sans salaire ni récompense.
Le château de Gamarde détruit, les
pierres de la muraille furent concédées par le roi d'Angleterre au Captal de
Buch le 31 janvier 1441, pour être destinées à l'édification d'une tour neuve
servant à la fortification et à la sauvegarde de la place de Clermont qui était
menacée. Cette place de Clermont avait été conquise sur l'ennemi français par
Pierre-Arnaut de Saint-Cricq et le bâtard de Caupenne, lesquels n'ayant pas pu
la garder et la défendre l'avaient vendue au Captal.
19 juillet 1437 -Source :
https://www.gasconrolls.org/edition/calendars/C61_127/document.html#it127_15_06f_052
Prieuré de
Dunstable. Pour James Harsage, écuyer. Accorder
à James Harsage, écuyer, émis d’Angleterre, lieutenant du château de Dax, qui
gouverne le château de Gamarde après l’avoir pris, parce qu’il a causé beaucoup
de dommages aux sujets du roi, puisqu’il est situé là où il n’y a pas un seul
capitaine du roi et est à 80 milles de Bordeaux, sans recevoir pendant 10 ans
aucun cachet ou récompense du roi, et y a gardé 500 personnes à ses frais
pendant 9 semaines, des terres, des dîmes, des biens héréditaires, des moulins …
18 octobre 1437 - Source :
https://www.gasconrolls.org/edition/calendars/C61_128/document.html#it128_16_09f_006
16 janvier 1438 - Sources :
https://www.gasconrolls.org/edition/calendars/C61_128/document.html#it128_16_07f_024
Manoir d’Easthampstead. Accorder à vie à James Harsage, écuyer, de la
seigneurie et forteresse de Gamarde dans la sénéchaussée des Landes avec ses
profits et dépendances, nonobstant toute mention de la valeur des bénéfices de
cette seigneurie et forteresse et toute concession antérieure de ceux-ci à
Harsage. Sansson de Monbrun qui avait obtenu par lettres patentes du roi la
seigneurie et forteresse de Gamarde a retourné ces lettres à la chancellerie
pour annulation afin de les accorder à Harsage.
31 janvier 1441 - Source :
https://www.gasconrolls.org/edition/calendars/C61_130/document.html#it130_19_08f_065
Westminster.
...Le roi accorde également à Foix les pierres de la place de Gamarde qui est
détruite pour la nouvelle construction d’une tour servant à la fortification et
à la sauvegarde de la place de Gamarde Clermont qui pourrait être perdu car il
est situé aux frontières avec les ennemis du roi; ce lieu de Clermont et la
paroisse de Mimbaste avait été conquis sur les ennemis du roi par Per-Arnaut de
Saint-Cricq et le bâtard de Caupenne qui les vendit au captal de Buch pour
qu’il les garde à jamais par lui et ses successeurs, parce que Saint-Cricq et
Caupenne n’étaient pas en mesure de les garder et de les défendre. Le roi
confirme cette vente et ne souhaite pas que le captal de Buch ou ses héritiers
soient empêchés par le roi ou ses officiers dans ces derniers pour aucun droit
que le roi pourrait avoir en ces lieux. Par P.S., et par l’autorité du
Parlement.
27 mars 1441 - Source :
https://www.gasconrolls.org/edition/calendars/C61_130/document.html#it130_19_12f_051
Westminster. Pour James Harsage. Accorder à jamais à Jacques Harsage, écuyer , et ses héritiers, la seigneurie et la forteresse de Gamarde dans la sénéchaussée des Landes avec ses profits et dépendances, et tous les revenus vicomtaux ( vicecomitalia ) et fiefs [de Tartas ] dans la seigneurie de Auribat qui passa aux mains du roi par la conquête de cette seigneurie d’Auribat de Jean [Hollande], comte de Huntingdon , lieutenant du roi dans le duché d’Aquitaine , conquête dans laquelle Jacques Harsage lui-même fut impliqué dans une grande compagnie sans avoir reçu aucun salaire ni récompense, aucune autre concession de Gamarde à lui qui n’a pas été faite malgré tout.
Mais il apparait que suite aux donations contradictoires obtenues d'une
fraction ou d'une autre, le gouvernement anglais d'Aquitaine ne put éviter et parfois
attiser les rivalités locales et la valse des attributions de châteaux.
Ce fut le cas pour le castelnau de Gamarde.
En effet, Augerot de Saint-Pée *, un des plus déterminé,
fidèle, et zélé partisan gascon du parti anglais (Originaire du Labourd et mêlé,
avec ses bandes d'hommes d'armes, à de nombreux épisodes de la guerre de
Guyenne dans les Landes entre 1430 et 1450) obtint des lettres patentes du comte de
Huntingdon lui accordant une créance de 1 000 livres sterling sur la seigneurie
de Gamarde, et donc sur James Harsage, en compensation de ses dépenses engagées
pendant le siège avec Arnaut-Guilhem de Caupenne, Bernardon de Cauna, le prévôt
de Dax, les hommes d'armes des villes de Dax et de Saint-Sever, et les autres
personnes se trouvant dans leurs compagnies en grand nombre pour la conquête de
la forteresse de Gamarde. Cette concession fut confirmée par le roi le 3 aout
1441.
Il était prévu que Gamarde revenait à
Augerot de Saint-Pée jusqu'au paiement de cette somme de 1 000 l.st., condition
pour que Gamarde reste entre les mains d'Harsage.
* Grassian Augerot de Saint Per (Saint Pée *)
Le 22 octobre 1439, Il était nommé comme un
des conseillers du roi en Guyenne, siégeant à Bordeaux, par le comte de
Huntingdon, lieutenant du roi en Guyenne. Le 2 septembre 1441, Humphrey de Lancastre,
duc de Gloucester, lui concédait la baillie de Labourd qu'il tenait lui-même du
roi, en considération de plusieurs grands et bien notables services ou faits de
guerres (Archives historiques de la Gironde t XVI p 285 et 287). Le 23 octobre
1442, il obtenait la prévôté de Dax, conjointement avec son père qui l'avait
déjà le 21 mars 1437, ainsi que le baillage de Hastingues.
Il mourut à Saint-Pée-sur-Nivelle le 26 avril
1450. (Note de Guilhem Pepin)
https://www.gasconrolls.org/edition/calendars/C61_138/document.html#it138_29_10f_055)
https://www.gasconrolls.org/edition/calendars/C61_130/document.html#it130_19_08f_072
Londres. Accordez à Augerot de Saint-Pée et ses héritiers, au nom de
Arnaut-Guilhem [de Caupenne], seigneur d’Osserain , Bernat [ de Cauna],
seigneur de Cauna , prévôt de Dax , et les hommes d’armes de la ville de Dax et
de la ville de Saint-Sever et d’autres, de 1 000 l.st. d’avoir et de recevoir
de la forteresse et de la seigneurie de Gamarde et de ses revenus en
compensation de leurs dépenses pendant le siège de Gamarde, 1 à condition que
James Harsage verse cette somme à Saint-Pée par des garanties suffisantes qui
peuvent être convenues entre Saint-Pée et Harsage, car Harsage a la forteresse
et la seigneurie de Gamarde par Huntingdon subvention. 2 En outre, Huntingdon
accorde à Saint-Pée la forteresse et la seigneurie de Gamarde avec ses
dépendances, à détenir par lui et ses héritiers jusqu’à ce qu’il soit
entièrement satisfait de cette somme de 1 000 l.st, nonobstant la concession à
Harsage. À condition qu’après le versement de cette somme à Saint-Pée ou à ses
héritiers, la forteresse et la seigneurie de Gamarde restent entre les mains de
Harsage selon la concession de Huntingdon. Arnaut-Guilhem [de Caupenne],
seigneur d’Osserain, Bernat [de Cauna], seigneur de Cauna, prévôt de Dax, et
les hommes d’armes de la ville de Dax et de la ville de Saint-Sever, ainsi que
plusieurs autres personnes, étant en grande nombre, ont assiégé à leurs frais
la forteresse de Gamarde qui fut alors longtemps occupée par les ennemis du roi
3 aux grands dégâts des liégeois du roi, et Gamarde fut finalement soumise au
roi. Par la suite, Huntingdon a accordé par ses lettres patentes la forteresse
et la seigneurie de Gamarde à James Harsage sous certaines conditions.
3 août 1441. Westminster. Concernant confirmation pour Augerot de
Saint-Pée. Inspeximus et confirmation des lettres patentes de Jean [Hollande],
comte de Huntingdon, lieutenant du roi en Aquitaine.
Fâché d'avoir perdu son château, James Harsage fit une ultime tentative
pour le conserver. Il présenta une supplique pour demander que le roi et le
chancelier d'Angleterre ordonnent aux juges de lui rendre pleine justice contre
Augerot de Saint-Pée en abrogeant les lettres patentes lui ayant accordé les 1
000 livres.
Une procédure s'engagea. Augerot de Saint-Pée fut assigné devant le
chancelier du roi à Londres et s'y présenta en personne le 13 novembre 1442. Il
se défendit mal en invoquant un droit coutumier du duché de Guyenne selon
lequel le conquérant d'un château à ses frais entrainerait le droit à la
posséder en pleine propriété et le gouverner jusqu'au remboursement de ses
dépenses.
Long procès-verbal du procès
Source : https://www.gasconrolls.org/edition/calendars/C61_131/document.html#it131_20_12f_057
Finalement le chancelier et les juges et experts du conseil du roi
décidèrent que les lettres accordées à Saint-Pée devaient être annulées, et
que James Harsage était confirmé dans la conservation de la seigneurie et forteresse
de Gamarde, malgré les lettres et confirmation de la créance de 1 000 l.st.
accordée à Augerot de Saint-Pée. Cela fut confirmé à Westminster en 1442,
ordonnant que la seigneurie et forteresse de Gamarde lui
soit remise et que les occupants lui obéissent et l'assistent.
28 mars 1442 - Source :
https://www.gasconrolls.org/edition/calendars/C61_131/document.html#it131_20_13f_052
Westminster. Pour
James Harsage. Ordre aux sénéchaux d’Aquitaine et des Lannes, au connétable de
Bordeaux, au conseil du roi étant à Bordeaux, aux maires et prévôts de Bayonne
et de Dax et à tous les officiers du roi dans le duché d’Aquitaine de remettre
à Jacques Harsage, écuyer, ou à son adjoint la seigneurie et forteresse de
Gamarde avec ses profits et accessoires, qui seront détenus à jamais par lui et
ses héritiers du roi et de ses successeurs. Le roi ordonne à tous les
locataires de Gamarde d’obéir et d’assister Harsage et ses adjoints ou
surveillants. Le 27 mai 1441, 1 le roi a accordé à jamais à James Harsage la
seigneurie et la forteresse de Gamarde avec ses dépendances, et tous les
revenus vicomtaux et fiefs [de Tartas] dans la seigneurie de Auribat qui
appartenaient à la dame de Curton, et furent conquis par Jean [Hollande], comte
de Huntingdon, lieutenant du roi en Aquitaine, une conquête dans laquelle James
Harsage lui-même fut impliqué dans une grande compagnie, sans aucun salaire ni
récompense.
27 mars 1443 - Source :
https://www.gasconrolls.org/edition/calendars/C61_132/document.html
Reconquise par les Français, la seigneurie " ensemble
la motte et le château d'icelle" fut vendue en janvier 1486 par Alain
d'Albret vicomte de Tartas et Captal de Buch à Charles de Baylenx, écuyer, fils du seigneur de Poyanne
Arnaud Guillaume I, et seigneur de Massencôme par sa femme.
Démantelé au XVe siècle, Gamarde a
finalement été totalement saccagé et détruit sur l'ordre de Jeanne d'Albret,
reine de Navarre, durant les guerres de religion vers 1560.
En 1874, dans ses Chroniques de la cité et du diocèse d'Acqs, Auguste Dompnier de Sauviac,
tentait ainsi de déceler les traces de son existence (p 208) :
" Le castrum de Gamarde qu'il ne faut pas
confondre avec le castra, n'est autre que le bourg lui-même dans son entier,
dont la configuration représente un carré long aux angles arrondis. Un mur de
terre appuyé d'un fossé le traçait ; le sommet du tertre était défendu, comme à
l'ordinaire, par une palissade. Dans le principe, il n'y avait que deux entrées
: l'une au nord pour descendre dans les bois du Louts au moulin ; la seconde,
au sud, presque en face, ouverte sur la plaine. Le donjon s'élevait à l'angle
nord-est ; c'était une tour en maçonnerie, carrée, dont l'emplacement a
conservé le nom de Tourate. Les fondements de cette construction ayant été
extraits, on a découvert des murs d'une certaine étendue, en pierre de Tartas
et de Gamarde, qui ont donné une idée de l'importance de l'édifice.La Tourate
était séparée du castrum de Gamarde par un fossé au-dessous duquel un ravin descend
au nord dans la vallée du Louts ; dans ce fossé était une poterne coupant la
route actuelle de Gamarde à Montfort ; il se confondait avec celui qui
entourait le castrum. La Tourate, mise en communication avec le castrum par un
pont-levis, a dû être détruite par un incendie vers le XVIe siècle .... On
trouve encore dans les rues de Gamarde des boules énormes en pierre destinées à
orner la porte d'entrée du donjon. ...."
En 1878, Monique Veaux ajoutait : "Les rues sont très étroites. Quelques
grosses boules de pierre, seuls vestiges de l'antique donjon sont déposés çà et
là au bord des trottoirs" (A la découverte de Dax et de sa région 1878 p
291)
Ces grosses boules ne seraient-elles pas les boulets de pierre tirés par
les bombardes en usage dans la guerre de siège au XIVe et XVe siècles ?
Il est aujourd'hui difficile de déceler les traces de ce passé et
d'imaginer ce que pouvait représenter le bourg de Gamarde au Moyen-âge. Motte, château, forteresse, village fortifiée
...méritant qu'on s'en dispute la possession ?