Nous sommes au printemps de 1808. L’Empire est à son apogée, Napoléon a triomphé de toute l’Europe et la Russie … sauf de l’Angleterre. Souhaitant intervenir au Portugal qui ne respectait pas le blocus commercial contre ce dernier ennemi, l’attention de l’empereur se porta sur l’Espagne alliée qui avait donné accord aux troupes françaises de traverser le pays, mais ce soutien devenait incertain et instable. En effet, un soulèvement populaire et un conflit né entre le roi Charles IV d’Espagne affaibli et son fils qui le força d’abdiquer et se proclama roi à sa place sous le nom de Ferdinand VII incitèrent Napoléon à se rapprocher du théâtre des évènements, pour les surveiller et faire pression sur eux. Comme prévu, les deux prétendants légitimes au trône ayant sollicité son arbitrage, il ne manqua pas d’en tirer profit. Cela justifia la venue des protagonistes à Bayonne et offrit l’opportunité d’y organiser un habile traquenard contre la vulnérable dynastie des Bourbons d’Espagne.
C’est ainsi que Napoléon vint pour la première
fois en Aquitaine et dut traverser les Landes entre Bordeaux et Bayonne.
Parti de Paris le 2 avril 1808 dans sa berline
précédée de 36 autres voitures attelées et 22 courriers montés, il entra dans
Bordeaux au soir du 4 avril. Il y resta quelques jours, rejoint par
l’impératrice Joséphine le 10, avant de partir seul pour Bayonne le 13 avril à
3 heures du matin. Il était accompagné dans sa voiture par son vieux compagnon
d’armes, le maréchal Berthier, major général de l’armée (qui s’était marié le
mois précédent) et son mameluck Roustan. Ils étaient précédés par le général
Duroc, grand maréchal du palais chargé de la sécurité de l’empereur, des généraux
Bertrand, aide de camp, et Durosnel écuyer. Suivaient M. de Bondy, son
chambellan, et plusieurs autres officiers de sa maison ainsi que les voitures
de service.
La voiture fut entourée par la foule et ses acclamations. Comme sur toute la route qui suivit, les populations étaient accourues de loin pour voir le héros dont le nom et les exploits avaient parcouru toute l’Europe depuis dix ans. Un bref arrêt permit au préfet Jean-Marie Valentin-Duplantier en grand costume de faire son discours d’hommages au « Heros et Père de la patrie » avant de solliciter les améliorations souhaitées pour son pauvre département.
Ledit préfet des Landes
accompagna l’empereur à franc étrier (À cheval, sans quitter la selle entre les postes) depuis le
Poteau jusqu’au milieu du pont de Bayonne ou il prit congé à la portière de la
voiture.
Après avoir passé le
relais de poste des Agreaux à Retjons où s’étaient réunis maires et
fonctionnaires publics, le cortège parvint à Roquefort vers 19 heures. Hors des
murs le canon se fit entendre dès que la voiture fut aperçue. Le maire
Labarchède, autorités, population, et garde nationale de 200 hommes sous les
armes et tambours battants aux champs l’accueillirent. Un nouvel arc de
triomphe édifié par le conseil municipal glorifiait « le modèle des
guerriers » et « le modèle des législateurs ». Pendant qu’on
changeait les chevaux, le juge de paix Couralet fit son petit discours au
« grand Monarque que l’Univers admire ». Canon et acclamations reprirent
ensuite jusqu’au moment où des chevaux nouvellement attelés reprirent la route.
Escorté par une garde d’honneur commandée par M de Pinsun placé à la portière de la voiture alors que des flambeaux marchaient en avant, l’empereur atteignit Mont-de-Marsan. Cloches et artillerie se firent entendre au-dessus du tumulte de l’enthousiasme de la foule. On passa sous un nouvel arc de triomphe décoré d’emblèmes et inscriptions glorifiant le visiteur qui eut droit à un nouveau discours dithyrambique du maire M. du Lyon de Campet accompagné du corps municipal.
On continua au pas jusqu’à parvenir à 21 heures au logement prévu en l’hôtel particulier du sénateur Jean-Baptiste Papin au 20-22 rue Armand Dulamon, aujourd’hui disparue. En effet, faute de préfecture adaptée pour le recevoir (1), l'empereur choisit de loger chez le sénateur et père de Marie Antoinette Adèle Papin devenue épouse Duchâtel, ancienne dame du palais au service de Joséphine de Beauharnais à la Malmaison, qui fut sa maîtresse entre 1804 et 1805 (son époux en profita en obtenant titres dont celui de comte d’Empire, honneurs, et donations)
Quelques semaines après son passage à Mont-de-Marsan,
Napoléon anoblit Jean-Baptiste Papin le 8 mai 1808, avec le titre de comte
de Saint-Christau, nom d'un quartier de Benquet où ce dernier possédait un
château et un important domaine foncier. Il le fera même inhumer
au Panthéon en 1809.
L’empereur y reçut les autorités
constituées le lendemain 14 avril à 5 heures du matin. Après l’expérience du
chemin, il donna alors l’assurance de l’accord d’un million pour l’aménagement
de la route de Bordeaux à Bayonne et qu’il serait statué favorablement sur les
propositions qui lui seraient faites pour améliorer le sort de ce pays
traversé. Puis il quitta son logement le 14 avril à 7 heures.
A la suite de ce passage, et depuis Bayonne, Napoléon permit au préfet d'obtenir, par décret du 12 juillet 1808, la propriété de l'ancien couvent des Clarisses pour y construire l'hôtel de la préfecture (travaux commencés en 1810). Il ordonnait également la reconstruction du pont sur le Midou trop étroit pour les convois militaires vers l’Espagne
Toujours accompagné par la foule, il passa le faubourg de Rigole où deux obélisques et un arc de triomphe étaient dressés. La voiture conduite par son cocher Jean Horn, escortée par la totalité de la garde d’honneur à cheval fut alors accompagnée par 25 échassiers landais qui suivirent un moment les chevaux au trot.
la garde d'honneur des Landes
Cet épisode fut repris par la gravure anglaise
intitulée « The singular guard of honour formed for Bonaparte by the
peasantry near Bayonne » sur laquelle on voit la voiture impériale
suivie des troupes de la garde d’honneur en ordre de marche accueillie par des
échassiers … et des échassières. Cette gravure illustrait une brochure publiée à Londres en 1816 à
l'occasion de l'exposition de la voiture impériale prise à Waterloo. (Source : The British
Museum)
A 10h30 Napoléon entrait à Tartas où une allée de pins transplantés conduisait à un arc de triomphe encadré des inscriptions Honneur et Patrie. Après avoir reçu l’hommage du maire Buchet, il y fit une pause d’une demi-heure pour un léger repas. Avant son départ, le sous-préfet de Saint-Sever et le corps municipal de cette ville ont tenu à lui être présentés.
Puis la voiture prit
direction de Dax. On relaya les chevaux à Pontonx, on traversa le territoire de
Pouy pour atteindre Saint-Paul-lès-Dax. La population de Dax et tous les
fonctionnaires publics de la ville distante d’un quart de lieu du chemin durent
se porter là. Un régiment d’infanterie sur place se joignit à une garde
nationale de plus de 200 hommes. Un nouvel arc de triomphe formé en pins et
lauriers était dressé avec pour seule inscription « Maximo » ! Le passage
fut également accompagné de décharges d’artillerie, compliments des autorités
et acclamations.
On passa le relais de
Saint-Paul, puis sur la commune de Saubusse où une garde nationale « en
costume béarnais » (?) veillait sur un monument champêtre et où le maire
prit la parole. Il est dit que près de l’arc de triomphe une cinquantaine
d’hommes attendaient depuis deux mois dans des tentes le passage de l’empereur
On relaya à Saint-Geours-de-Maremne
(arc de triomphe, discours, garde nationale, acclamations) pour arriver à la
tombée de la nuit près du marais d’Orx, au pont de Boudigau. Là, avait été
dressée une colonne de forme égyptienne de 24 pieds de haut avec inscription
latine surmontée d’une statue colossale représentant Napoléon ordonnant aux
eaux de se retirer. Les maires réunis de douze communes infectées par les
marais firent en effet état de leur souhait d’assèchement.
Le dernier arc de
triomphe landais fut franchi à Saint Esprit, puis ce fut l’arrivée le 14 avril
vers 21h30 sur le pont de Bayonne et la traversée de la ville illuminée et
pavoisée. Ayant
mis pied à terre, l’empereur revêtu de son uniforme de chasseur de la garde
monta à cheval jusqu’à la place du Réduit où le maire lui remit les clés de la
ville. Autour étaient toute l’escorte de maréchaux et aides de camp, la
gendarmerie d’élite, les chevaux-légers polonais, la garde à pied et à cheval
de la ville, et une compagnie de garde d’honneur basque. De là il passa le pont
Mayou au trot, puis la place de la Liberté emplie d’une compagnie des
grenadiers de la garde à pied.
L’impératrice Joséphine
qui était restée quelques jours à Bordeaux quitta la ville le 26 avril à 5
heures du matin. Le préfet des Landes, à peine revenu de Bayonne, se porta à sa
rencontre à la sortie de Roquefort afin de l’escorter à cheval, mais il fut
invité à monter dans la voiture qui précédait celle de l’impératrice, avec le général
Ordener, premier écuyer, et deux chambellans, Beaumont et Dumanoir. A une lieue
avant Mont-de-Marsan, la garde d’honneur se plaça dans l’escorte.
Arrivée à Mont de Marsan
à 21 heures 30, elle bénéficia du même rituel d’accueil que l’empereur avant le
souper et le logement en la maison de M. Papin. Elle en partit le lendemain, 27
avril, à 6 heures du matin alors qu’un troupeau de moutons mérinos avait été
conduit sous ses fenêtres en reconnaissance de la création de la bergerie impériale
des Landes à Cère.
En 2h15, la voiture conduite par le maitre de poste parvint à Tartas dont les rues avaient été ornées de guirlandes et jonchées de fleurs, puis relais à Pontonx, et Saint-Paul-lès-Dax où l’impératrice déjeuna chez M Loustalot. Elle parvint à Saint-Esprit à 19h30, puis Bayonne et le château de Marracq dans la soirée .Sur tout le parcours l’enthousiasme fut aussi grand que lors du passage de l’empereur, avec arcs de verdure, guirlandes de fleurs, inscriptions de bienvenue, cloches et canon.
Le 20 avril 1808, le jeune Ferdinand VII arriva à Bayonne avec sa suite
nombreuse. Napoléon le reçut et lui proposa d’abandonner le trône contre la
promesse de régner sur l’actuelle Toscane. Puis son père Charles IV, accompagné
de son épouse, arrivé le 30 avec
une escorte fournie par Murat, fut reçu pendant qu’éclatait la révolte
espagnole du Dos de Mayo contre les troupes françaises. L’empereur exploita
alors la peur de ces deux souverains face aux menaces de guerre civile pour
exiger avec menaces leur abdication qui fut signée par le traité de Bayonne les
5 et 10 mai 1808 à la suite duquel il installa son frère Joseph Bonaparte sur
le trône d'Espagne.
Mais cette
habile opération diplomatique se révéla malheureuse puisqu’une insurrection
générale conduisit à la terrible guerre d’indépendance espagnole qui constitua le
début de la fin de l’Empire.
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Le 12 mai à 8 heures du
matin le roi Charles IV déchu et la reine Marie-Louise de Parme quittèrent
Bayonne pour rejoindre Bordeaux puis leur exil au château de Valençay chez le
duc de Talleyrand. (Les infants ayant également renoncé à leurs droits étaient
partis un peu plus tôt, à 5 heures, pour la même destination)
Leur carrosse à huit chevaux,
précédé d’un détachement des gardes d’honneur bayonnaises puis landaises, était
escorté par un détachement de cuirassiers jusqu’à Ondres. En avant, deux autres
voitures étaient occupées par le général Reille, aide de camp de Napoléon, les
deux chambellans et un écuyer. La voiture de Manuel Godoy, secrétaire d’Etat du
roi, favori de la reine et allié de la France contre le Portugal (et donc
protégé et exfiltré) suivait à quelque distance, puis une quarantaine de
fourgons fermés.
Repas à midi à Saint
Geours-de-Maremne, dans la maison de Lassalle chez M. Jacques François de Saint
Martin juge de paix de Soustons (Pourquoi ce détour ?). Entrée à Dax vers 18 heures et logement chez
M. Le Quien de Laneufville en son hôtel Saint-Martin d’Agès. Départ le
lendemain à 8 heures. Arrêt et repas à l’auberge de Tartas puis départ à 16
heures pour loger à Mont de Marsan en la maison du sénateur Papin. Après une
messe dans leur logement et la grâce d’un dragon du régiment du roi ayant
déserté lors de la guerre d’Espagne, départ vers Roquefort et Langon.
Le 6 juin, c’est Caroline
Bonaparte qui fit le voyage à travers les Landes pour se rendre à Bayonne et y
attendre son époux le maréchal d’Empire Joachim Murat, malade, qui la rejoignit
le 7 juillet.
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Rassuré sur les affaires d'Espagne, Napoléon
quitta Bayonne en compagnie de Joséphine en ignorant qu’en Espagne le général
Dupont subissait le premier sérieux revers de la bataille de Bailén en prélude
à l’évacuation du Portugal par Junot un mois plus tard. Le départ eut lieu
le soir du 21 juillet en présence de toutes les troupes présentes dans la
ville. Au pont de Saint-Esprit un détachement de la garde à cheval et de la
garde à pied des Landes assura l’escorte jusqu’à l’embranchement de la route de
Peyrehorade. A Port-de-Lanne, un bateau décoré fut mis à disposition du couple
impérial pour le passage du fleuve. Après Peyrehorade et son arc de triomphe puis
la route éclairée par des feux allumés de distance en distance, le convoi et
ses 52 voitures du service prirent la direction d’Orthez et Pau. Le voyage
continua vers Toulouse, Montauban, Agen, La Réole pour rejoindre Bordeaux.
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Les deux autres voyages
de Napoléon par la route des Petites Landes furent encore plus rapides :
Décidé à frapper un coup décisif en Espagne en prenant la tête de son armée, Napoléon parti de Paris le 29 octobre 1808 traversa à nouveau les Petites Landes. Annoncé à Mont-de-Marsan le 2 novembre en fin de matinée et son déjeuner préparé, il n’y parvint qu’à 16 heures, suivi du général Duroc et de ses aides de camp Savary, Bertrand et Nansouty. La route étant détrempée par plusieurs jours de pluie et défoncée par le passage continuel de convois militaires, et exaspéré par la lenteur de sa voiture, il l'abandonna pour poursuivre à cheval, accompagné du général Duroc et du préfet. Après un arrêt à Saint-Geours-de-Maremne chez M. Saint-Martin, il parvint quelque peu fatigué à Bayonne le 3 novembre entre 2 et 3 heures du matin.
En sens inverse, Napoléon, menacé par l'Autriche et les intrigues de Talleyrand, du quitter discrètement l'Espagne pour Paris après avoir remis le
commandement de l’armée au maréchal Soult. Venant de Valladolid, il partit de Bayonne le 19 janvier 1809 à 6
heures du matin. Après s’être arrêté quelques heures à Tartas il parvint à
Mont-de-Marsan à 4 heures du matin, ou il s’inquiéta de l’état des travaux
ordonnés sur la route jusqu’au Poteau. Il quitta aussitôt la ville pour arriver
le 20 janvier à 22 heures à Bordeaux.