LES PASSAGES DE NAPOLEON EN 1808-1809

Le 14 avril 1808 après Mont-de-Marsan

Nous sommes au printemps de 1808. L’Empire est à son apogée, Napoléon a triomphé de toute l’Europe et la Russie … sauf de l’Angleterre. Souhaitant intervenir au Portugal qui ne respectait pas le blocus commercial contre ce dernier ennemi, l’attention de l’empereur se porta sur l’Espagne alliée qui avait donné accord aux troupes françaises de traverser le pays, mais ce soutien devenait incertain et instable. En effet, un soulèvement populaire et un conflit né entre le roi Charles IV d’Espagne affaibli et son fils qui le força d’abdiquer et se proclama roi à sa place sous le nom de Ferdinand VII incitèrent Napoléon à se rapprocher du théâtre des évènements, pour les surveiller et faire pression sur eux. Comme prévu, les deux prétendants légitimes au trône ayant sollicité son arbitrage, il ne manqua pas d’en tirer profit. Cela justifia la venue des protagonistes à Bayonne et offrit l’opportunité d’y organiser un habile traquenard contre la vulnérable dynastie des Bourbons d’Espagne.  

C’est ainsi que Napoléon vint pour la première fois en Aquitaine et dut traverser les Landes entre Bordeaux et Bayonne.

Parti de Paris le 2 avril 1808 dans sa berline précédée de 36 autres voitures attelées et 22 courriers montés, il entra dans Bordeaux au soir du 4 avril. Il y resta quelques jours, rejoint par l’impératrice Joséphine le 10, avant de partir seul pour Bayonne le 13 avril à 3 heures du matin. Il était accompagné dans sa voiture par son vieux compagnon d’armes, le maréchal Berthier, major général de l’armée (qui s’était marié le mois précédent) et son mameluck Roustan. Ils étaient précédés par le général Duroc, grand maréchal du palais chargé de la sécurité de l’empereur, des généraux Bertrand, aide de camp, et Durosnel écuyer. Suivaient M. de Bondy, son chambellan, et plusieurs autres officiers de sa maison ainsi que les voitures de service.

Berthier-Duroc-Bertrand-Durosnel

Le cortège parvint au lieudit du Poteau marquant l’entrée dans les Landes vers 15h 30. Là, avait été élevé un premier arc de triomphe décoré de statues représentant la France triomphante et la Paix. Deux médaillons ornés de figures allégoriques portaient les inscriptions « La fortune le suit et la gloire l’éclaire » et « Utriusque maris junctio duplex » (allusion au projet de réunion de la Garonne à l’Adour par le canal des Landes). Sur la frise de la corniche était inscrit « Vascones Napoleoni herico patri »

La voiture fut entourée par la foule et ses acclamations. Comme sur toute la route qui suivit, les populations étaient accourues de loin pour voir le héros dont le nom et les exploits avaient parcouru toute l’Europe depuis dix ans. Un bref arrêt permit au préfet Jean-Marie Valentin-Duplantier en grand costume de faire son discours d’hommages au « Heros et Père de la patrie » avant de solliciter les améliorations souhaitées pour son pauvre département.

Ledit préfet des Landes accompagna l’empereur à franc étrier (À cheval, sans quitter la selle entre les postes) depuis le Poteau jusqu’au milieu du pont de Bayonne ou il prit congé à la portière de la voiture.

Après avoir passé le relais de poste des Agreaux à Retjons où s’étaient réunis maires et fonctionnaires publics, le cortège parvint à Roquefort vers 19 heures. Hors des murs le canon se fit entendre dès que la voiture fut aperçue. Le maire Labarchède, autorités, population, et garde nationale de 200 hommes sous les armes et tambours battants aux champs l’accueillirent. Un nouvel arc de triomphe édifié par le conseil municipal glorifiait « le modèle des guerriers » et « le modèle des législateurs ». Pendant qu’on changeait les chevaux, le juge de paix Couralet fit son petit discours au « grand Monarque que l’Univers admire ». Canon et acclamations reprirent ensuite jusqu’au moment où des chevaux nouvellement attelés reprirent la route.

Escorté par une garde d’honneur commandée par M de Pinsun placé à la portière de la voiture alors que des flambeaux marchaient en avant, l’empereur atteignit Mont-de-Marsan. Cloches et artillerie se firent entendre au-dessus du tumulte de l’enthousiasme de la foule. On passa sous un nouvel arc de triomphe décoré d’emblèmes et inscriptions glorifiant le visiteur qui eut droit à un nouveau discours dithyrambique du maire M. du Lyon de Campet accompagné du corps municipal.

On continua au pas jusqu’à parvenir à 21 heures au logement prévu en l’hôtel particulier du sénateur Jean-Baptiste Papin au 20-22 rue Armand Dulamon, aujourd’hui disparue. En effet, faute de préfecture adaptée pour le recevoir (1), l'empereur choisit de loger chez le sénateur et père de Marie Antoinette Adèle Papin devenue épouse Duchâtel, ancienne dame du palais au service de Joséphine de Beauharnais à la Malmaison, qui fut sa maîtresse entre 1804 et 1805 (son époux en profita en obtenant titres dont celui de comte d’Empire, honneurs, et donations)

Quelques semaines après son passage à Mont-de-Marsan, Napoléon anoblit Jean-Baptiste Papin le 8 mai 1808, avec le titre de comte de Saint-Christau, nom d'un quartier de Benquet où ce dernier possédait un château et un important domaine foncier. Il le fera même inhumer au Panthéon en 1809.

L’empereur y reçut les autorités constituées le lendemain 14 avril à 5 heures du matin. Après l’expérience du chemin, il donna alors l’assurance de l’accord d’un million pour l’aménagement de la route de Bordeaux à Bayonne et qu’il serait statué favorablement sur les propositions qui lui seraient faites pour améliorer le sort de ce pays traversé. Puis il quitta son logement le 14 avril à 7 heures.

      A la suite de ce passage, et depuis Bayonne, Napoléon permit au préfet d'obtenir, par décret du 12 juillet 1808, la propriété de l'ancien couvent des Clarisses pour y construire l'hôtel de la préfecture (travaux commencés en 1810). Il ordonnait également la reconstruction du pont sur le Midou trop étroit pour les convois militaires vers l’Espagne

Toujours accompagné par la foule, il passa le faubourg de Rigole où deux obélisques et un arc de triomphe étaient dressés. La voiture conduite par son cocher Jean Horn, escortée par la totalité de la garde d’honneur à cheval fut alors accompagnée par 25 échassiers landais qui suivirent un moment les chevaux au trot.

la garde d'honneur des Landes

Cet épisode fut repris par la gravure anglaise intitulée « The singular guard of honour formed for Bonaparte by the peasantry near Bayonne » sur laquelle on voit la voiture impériale suivie des troupes de la garde d’honneur en ordre de marche accueillie par des échassiers … et des échassières. Cette gravure illustrait une brochure publiée à Londres en 1816 à l'occasion de l'exposition de la voiture impériale prise à Waterloo. (Source : The British Museum)

A 10h30 Napoléon entrait à Tartas où une allée de pins transplantés conduisait à un arc de triomphe encadré des inscriptions Honneur et Patrie. Après avoir reçu l’hommage du maire Buchet, il y fit une pause d’une demi-heure pour un léger repas. Avant son départ, le sous-préfet de Saint-Sever et le corps municipal de cette ville ont tenu à lui être présentés.

Puis la voiture prit direction de Dax. On relaya les chevaux à Pontonx, on traversa le territoire de Pouy pour atteindre Saint-Paul-lès-Dax. La population de Dax et tous les fonctionnaires publics de la ville distante d’un quart de lieu du chemin durent se porter là. Un régiment d’infanterie sur place se joignit à une garde nationale de plus de 200 hommes. Un nouvel arc de triomphe formé en pins et lauriers était dressé avec pour seule inscription « Maximo » ! Le passage fut également accompagné de décharges d’artillerie, compliments des autorités et acclamations.

On passa le relais de Saint-Paul, puis sur la commune de Saubusse où une garde nationale « en costume béarnais » (?) veillait sur un monument champêtre et où le maire prit la parole. Il est dit que près de l’arc de triomphe une cinquantaine d’hommes attendaient depuis deux mois dans des tentes le passage de l’empereur

On relaya à Saint-Geours-de-Maremne (arc de triomphe, discours, garde nationale, acclamations) pour arriver à la tombée de la nuit près du marais d’Orx, au pont de Boudigau. Là, avait été dressée une colonne de forme égyptienne de 24 pieds de haut avec inscription latine surmontée d’une statue colossale représentant Napoléon ordonnant aux eaux de se retirer. Les maires réunis de douze communes infectées par les marais firent en effet état de leur souhait d’assèchement.


Après le relais d’Ondres, comme il faisait nuit, des pots à feu et de grandes torches illuminaient le chemin jusqu’à Saint-Esprit. Un détachement des gardes d’honneur se joignit à ceux qui avaient suivi depuis Tartas. De fait, des détachements successifs de la compagnie des Landes de la gendarmerie impériale avaient toujours fait partie de l’escorte depuis le Poteau. Ils furent rejoints à Ondres par plusieurs brigades et un fort escadron de cuirassier fermant la marche.

Le dernier arc de triomphe landais fut franchi à Saint Esprit, puis ce fut l’arrivée le 14 avril vers 21h30 sur le pont de Bayonne et la traversée de la ville illuminée et pavoisée. Ayant mis pied à terre, l’empereur revêtu de son uniforme de chasseur de la garde monta à cheval jusqu’à la place du Réduit où le maire lui remit les clés de la ville. Autour étaient toute l’escorte de maréchaux et aides de camp, la gendarmerie d’élite, les chevaux-légers polonais, la garde à pied et à cheval de la ville, et une compagnie de garde d’honneur basque. De là il passa le pont Mayou au trot, puis la place de la Liberté emplie d’une compagnie des grenadiers de la garde à pied.


Refusant de rester au palais des gouverneurs qui avait été aménagé pour lui en face du château-vieux, il choisit de loger au château de Marracq dans lequel il s’installa trois jours plus tard avant de l’acheter en mai (situé à l’est de l’enceinte de la ville, et aujourd’hui ruiné).

L’impératrice Joséphine qui était restée quelques jours à Bordeaux quitta la ville le 26 avril à 5 heures du matin. Le préfet des Landes, à peine revenu de Bayonne, se porta à sa rencontre à la sortie de Roquefort afin de l’escorter à cheval, mais il fut invité à monter dans la voiture qui précédait celle de l’impératrice, avec le général Ordener, premier écuyer, et deux chambellans, Beaumont et Dumanoir. A une lieue avant Mont-de-Marsan, la garde d’honneur se plaça dans l’escorte.

Arrivée à Mont de Marsan à 21 heures 30, elle bénéficia du même rituel d’accueil que l’empereur avant le souper et le logement en la maison de M. Papin. Elle en partit le lendemain, 27 avril, à 6 heures du matin alors qu’un troupeau de moutons mérinos avait été conduit sous ses fenêtres en reconnaissance de la création de la bergerie impériale des Landes à Cère.

En 2h15, la voiture conduite par le maitre de poste parvint à Tartas dont les rues avaient été ornées de guirlandes et jonchées de fleurs, puis relais à Pontonx, et Saint-Paul-lès-Dax où l’impératrice déjeuna chez M Loustalot. Elle parvint à Saint-Esprit à 19h30, puis Bayonne et le château de Marracq dans la soirée .Sur tout le parcours l’enthousiasme fut aussi grand que lors du passage de l’empereur, avec arcs de verdure, guirlandes de fleurs, inscriptions de bienvenue, cloches et canon.

 L’entrevue et le traité de Bayonne suivis de l’exil des Bourbons d’Espagne

Le 20 avril 1808, le jeune Ferdinand VII arriva à Bayonne avec sa suite nombreuse. Napoléon le reçut et lui proposa d’abandonner le trône contre la promesse de régner sur l’actuelle Toscane. Puis son père Charles IV, accompagné de son épouse, arrivé le 30 avec une escorte fournie par Murat, fut reçu pendant qu’éclatait la révolte espagnole du Dos de Mayo contre les troupes françaises. L’empereur exploita alors la peur de ces deux souverains face aux menaces de guerre civile pour exiger avec menaces leur abdication qui fut signée par le traité de Bayonne les 5 et 10 mai 1808 à la suite duquel il installa son frère Joseph Bonaparte sur le trône d'Espagne.

De gauche à droite, le prince Don Carlos, le prince Don Antonio, Ferdinand VII, Napoléon, Carlos IV, Godoy, la reine..

Mais cette habile opération diplomatique se révéla malheureuse puisqu’une insurrection générale conduisit à la terrible guerre d’indépendance espagnole qui constitua le début de la fin de l’Empire.

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Le 12 mai à 8 heures du matin le roi Charles IV déchu et la reine Marie-Louise de Parme quittèrent Bayonne pour rejoindre Bordeaux puis leur exil au château de Valençay chez le duc de Talleyrand. (Les infants ayant également renoncé à leurs droits étaient partis un peu plus tôt, à 5 heures, pour la même destination)

Leur carrosse à huit chevaux, précédé d’un détachement des gardes d’honneur bayonnaises puis landaises, était escorté par un détachement de cuirassiers jusqu’à Ondres. En avant, deux autres voitures étaient occupées par le général Reille, aide de camp de Napoléon, les deux chambellans et un écuyer. La voiture de Manuel Godoy, secrétaire d’Etat du roi, favori de la reine et allié de la France contre le Portugal (et donc protégé et exfiltré) suivait à quelque distance, puis une quarantaine de fourgons fermés.

Repas à midi à Saint Geours-de-Maremne, dans la maison de Lassalle chez M. Jacques François de Saint Martin juge de paix de Soustons (Pourquoi ce détour ?).  Entrée à Dax vers 18 heures et logement chez M. Le Quien de Laneufville en son hôtel Saint-Martin d’Agès. Départ le lendemain à 8 heures. Arrêt et repas à l’auberge de Tartas puis départ à 16 heures pour loger à Mont de Marsan en la maison du sénateur Papin. Après une messe dans leur logement et la grâce d’un dragon du régiment du roi ayant déserté lors de la guerre d’Espagne, départ vers Roquefort et Langon.

Le 6 juin, c’est Caroline Bonaparte qui fit le voyage à travers les Landes pour se rendre à Bayonne et y attendre son époux le maréchal d’Empire Joachim Murat, malade, qui la rejoignit le 7 juillet.

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Rassuré sur les affaires d'Espagne, Napoléon quitta Bayonne en compagnie de Joséphine en ignorant qu’en Espagne le général Dupont subissait le premier sérieux revers de la bataille de Bailén en prélude à l’évacuation du Portugal par Junot un mois plus tard. Le départ eut lieu le soir du 21 juillet en présence de toutes les troupes présentes dans la ville. Au pont de Saint-Esprit un détachement de la garde à cheval et de la garde à pied des Landes assura l’escorte jusqu’à l’embranchement de la route de Peyrehorade. A Port-de-Lanne, un bateau décoré fut mis à disposition du couple impérial pour le passage du fleuve. Après Peyrehorade et son arc de triomphe puis la route éclairée par des feux allumés de distance en distance, le convoi et ses 52 voitures du service prirent la direction d’Orthez et Pau. Le voyage continua vers Toulouse, Montauban, Agen, La Réole pour rejoindre Bordeaux.

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Les deux autres voyages de Napoléon par la route des Petites Landes furent encore plus rapides :

Décidé à frapper un coup décisif en Espagne en prenant la tête de son armée, Napoléon parti de Paris le 29 octobre 1808 traversa à nouveau les Petites Landes.  Annoncé à Mont-de-Marsan le 2 novembre en fin de matinée et son déjeuner préparé, il n’y parvint qu’à 16 heures, suivi du général Duroc et de ses aides de camp Savary, Bertrand et Nansouty. La route étant détrempée par plusieurs jours de pluie et défoncée par le passage continuel de convois militaires, et exaspéré par la lenteur de sa voiture, il l'abandonna pour poursuivre à cheval, accompagné du général Duroc et du préfet. Après un arrêt à Saint-Geours-de-Maremne chez M. Saint-Martin, il parvint quelque peu fatigué à Bayonne le 3 novembre entre 2 et 3 heures du matin.


A la demande de l’empereur, le maréchal Berthier, major-général de la Grande Armée avait effectué quelques jours avant le même déplacement, avec difficulté (sur une route encombrée des convois d'approvisionnement et vivres, et obligé de faire plusieurs postes avec des bœufs faute de chevaux disponibles) vers Bayonne et couché à Mont-de-Marsan (29 octobre). Il venait organiser et apporter le soutien de plusieurs contingents de ses troupes déplacés depuis l’Allemagne ! Des milliers d’hommes continuèrent à traverser ainsi les Landes au cours du mois de novembre.


En sens inverse, Napoléon, menacé par l'Autriche  et les intrigues de Talleyrand, du quitter  discrètement l'Espagne pour Paris après avoir remis le commandement de l’armée au maréchal Soult. Venant de Valladolid, il partit de Bayonne le 19 janvier 1809 à 6 heures du matin. Après s’être arrêté quelques heures à Tartas il parvint à Mont-de-Marsan à 4 heures du matin, ou il s’inquiéta de l’état des travaux ordonnés sur la route jusqu’au Poteau. Il quitta aussitôt la ville pour arriver le 20 janvier à 22 heures à Bordeaux.


Or l'Espagne n'était conquise qu'à moitié. La guerrilla, les troupes anglo-portugaises, l'arrivée de Wellington provoquèrent finalement le repli puis le désastre qu'on connait entre 1812 et 1814kk


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