Le hameau d'Arouille n'est plus, depuis 1965, qu'un quartier de la commune de Saint-Justin
Au milieu d'un pays sauvage et inculte, fait de landes, marais et maigres forêts , sans routes frayées, Arouille fut d'abord un château construit en 1162, vraisemblablement sur l'emplacement et restes d'un castrum,camp dit romain, par les ordres du roi d'Angleterre, pour défendre la limite de ses possessions. En effet, devenu roi, Henri II Plantagenet était alors maître de la contrée par son mariage avec Eléonore ou Alienor d'Aquitaine.
On était dans le territoire de la petite vicomté de Juliac dominée par le Podium de Juliaco ,berceau des Mauvezin, entre le Marsan à l'ouest , et les terres d'Armagnac à l'est. Cette vicomté avait été constituée comme fief de la couronne d'Angleterre en faveur d'un Odon de Malvin (Mauvezin) dès 1160. Et Arouille était une des huit baronnies de la rive droite de la Douze. Au delà, vers l'est, étaient les territoires des comtes d'Armagnac.
Le château et sa baronnie furent donnés à fief par Henri II à un seigneur écossais nommé Walther d'Argel en 1175 . (Tout près de là, Argelouse serait alors Argel house, la maison d'Argel ? dont une clé de voute de l'église en porte les armes).
Ce fut ensuite une bastide nommée "Arulha" fondée par Edouard 1er d'Angleterre (ce toponyme serait dérivé de arrogium signifiant ruisseau, canal, fossé ...). Par acte de paréage du 2 juin 1289, Arnaud Guilhem de Malvin, vicomte de Juliac, en cédant ses possessions, obtenait le droit d'élever des bastides sur les terres qu'il tenait en fief noble de la couronne d'Angleterre. Edouard lui céda sa moitié des droits sur Arouille , tout en se réservant le "capitulum seu fortalicium" (1) de manière à y avoir garnison. C est vraisemblablement entre 1289 et 1295 que cette petite et éphémère bastide fut érigée. Dès 1291, face à elle, le comte d'Armagnac Bernard IV créa alors celle de Labastide- d'Armagnac à la frontière de ses terres.
Malheureusement, s'agissant vraisemblablement de fortifications de terre et château de bois, il ne reste aujourd'hui aucune trace vraiment tangible du "capitolium" ou "fortalicium" évoqué par les textes, si ce n'est que des dénivellations de buttes ou tertres au delà de ce qui est devenu un étang, à l'est du bourg actuel. Mis à part l'escarpement du coté du ruisseau, seul un oeil averti peut déceler des restes de remparts de terre ou talus complétés par un fossé.
Pourtant, en 1887, l'abbé Tauzin, historien local, indiquait en avoir retrouvé les traces dont les Archives Départementales des Landes conservent un dessin (7 FI 101). Ce château et sa motte, et plus tard la bastide, auraient été situés entre les deux plateaux dits de Marié (Millet) et du Castagnet, au lieudit Bialé (ou Baylet cadastre 1813 -section A dite d'Arouille 2eme feuille), sur une butte dominant la vallée du ruisseau de près de 20 mètres au nord et à l'est. Au sud, elle était séparée du plateau par une petite vallée affluente. L'accès s'effectuait par un passage étroit à l'angle sud-est.
Le nom de Bialé semble effectivement se rapprocher des termes de biala, bielle et biolle dérivés gascons du latin villa désignant une ferme, un hameau, un village, puis, au moyen Age , la basse cour d'un château où est installé un bourg.
Le site fortifié était entouré de remparts doubles sur une circonvallation de près de 300 mètres, bordée de fossés larges de 13 mètres. Le bourg devait occuper une enceinte déterminait une superficie de 3 hectares. Une église élevée à l'extrémité de la bastide a également disparu, bien que figurant encore sur le plan cadastral de 1813. Cependant, la création de cette bastide n'a pas ici donné naissance à un habitat aggloméré. On peut penser que plutôt que de créer une agglomération, il s'est agi à l'époque de renforcer et étendre les fortifications du château déjà existant.
Le vieux (déjà désigné ainsi dans un acte de 1273 (2) château d'Arouille fut à nouveau fortifié par les anglais en 1316 et une petite garnison installée, de même qu'un bayle royal.
Un schéma approximatif du site d'Arouille d'après le dessin conservé aux Archives Départementales des Landes
Toujours est -il que le site eut suffisamment d'importance pour qu'en 1355, le fameux Prince Noir, fils du roi d'Angleterre, y mène son armée et y campe deux jours. lors de sa grande chevauchée vers l'Armagnac et le Languedoc.
A la demande du captal de Buch qui s'était rendu à Londres à la tête d'une délégation de seigneurs gascons désireux de desserrer l'étau dans lequel le comte Jean d'Armagnac et son fils, alliés et lieutenants du roi de France, enserraient et menaçaient la Guyenne anglaise, le roi Edouard III envoya son fils ainé Edouard de Woodstok, prince de Galles, le fameux Prince Noir.
La flotte de celui ci débarqua à la fin du mois de septembre 1355 au port de Bordeaux . Son armée comptait alors plus de 400 hommes d'armes, 700 archers dont 400 montés. Mais il était accompagné de la fine fleur de la chevalerie anglaise, les comtes de Warwick, de Sufolk, de Salisbury et d'Oxford, et leur propres compagnies. Soit un contingent anglo-gallois estimé à 2 600 hommes.
Plus qu'une mission de rétablissement de la souveraineté, ce fut une véritable expédition punitive qui s'engagea alors sans attendre. Il s'agissait d'abord de châtier le comte d'Armagnac, mais plus généralement et surtout d'affaiblir les pays qui fournissaient au roi de France les moyens financiers et humains de ses armées.
Le contingent anglais débarqué avec le Prince Noir fut alors rejoint par les différents corps armés venant des petites seigneuries de toute la Gascogne ayant fait mouvement pour rassembler les forces.
Selon Froissart, on y comptait 1500 lances (8 hommes), 2000 archers (2 hommes), et 3 000 bideaux (troupe irrégulière de fantassins - paysans à pied ), soit environ entre 6 et 8 000 hommes. Mais selon le chroniqueur Beker, toute cette armée composée d'hommes d'armes, archers, mais aussi servants clercs, et brigands de toutes sortes comprenait ainsi plus de 60 000 hommes, incluant les valets, les pourvoyeurs, les convoyeurs, les routiers, les aventuriers gascons et basques et leurs bandes de mercenaires ( dont les cadets ou bâtards de la petite noblesse landaise, capitaines routiers à la renommée manifestement guerrière ( comme le Bourg de Caupenne et son cousin Bascot de Mauléon, Bertucat d'Albret, Archambaud le bâtard de Marsan).
Le 5 octobre cette armée composée d'anglais, de gallois et de gascons quitta Bordeaux et Villenave d'Ornon pour se diriger sur le comté d'Armagnac. Elle remonta la Garonne jusqu'à Langon puis Castets en Dorthe, terres des Albret, avant d'obliquer vers Bazas où elle parvient le 8 octobre. Après une pose, la route se poursuivit vers le château de Castelnau de Mesmes, atteint le 10. Suivit ensuite la marche forcée de 25 miles, erratique, interminable et difficile que constitua la traversée des Grandes Landes désertiques, ses lagunes et ruisseaux, occasionnant la perte de plusieurs chevaux.
une idée du paysage des anciennes Landes
Comme on peut se demander ce qui a guidé le choix de cet itinéraire plein sud à travers les landes sauvages pour rejoindre et porter la guerre dans les terres d'Armagnac, on dit qu'il a été conseillé par les deux seigneurs landais qu'étaient le Captal de Buch et Arnaud-Amanieu d'Albret, alors sire de Langoiran, qui avaient chevauché ou chassé dans ce pays hostile. On n'a aucune indication sur le chemin emprunté depuis Castelnau et le franchissement du Ciron. (vers Losse et Lussolle ou bien vers Maillas et Bergonce ?),
Le Prince Noir parvint le 11 octobre à deux milles du camp d'Arouille. Ce jour, à trois kilomètre de la bastide, les troupes étaient sur le point d'entrer en terre hostile, une contrée directement exposée aux incursions ennemies.
Sur ces marges de pays, le comportement des barons et seigneurs évoluait au gré des circonstances et des intérêts particuliers de chacun. On balançait ainsi entre parti anglo-gascon et parti français. Alors que les premiers seigneurs furent de fidèles vassaux du roi d'Angleterre, la vicomté de Juliac échut à Bernard de Pardaillan, chevalier attaché au parti français, par son mariage, en 1327, avec Ciboye l'héritière des Mauvezin. La dame de Juliac restant dans la vassalité d'Edouard III ,Pardaillan n'entra en possession de ses terres qu'en 1345 par les armes, en envahissant le Gabardan et chassant les anglais du château vicomtal. A sa mort mystérieuse, peu après, lors d'une chasse au loup, sa fille unique Esclamonde de Pardaillan avait hérité de la vicomté avant d'épouser en seconde noce, en 1347, Roger d'Armagnac-Fezensaguet, seigneur de Lavardens. Or ce seigneur de Lavardens était un Armagnac, cousin germain du comte Jean 1er d'Armagnac. La menace était donc réelle que la vicomté échappe définitivement à la domination anglaise.
Une représentation sans garantie du château de Beroy par Maurice Romieu
Les hostilités commencèrent donc ici.
Déjà le bourg de Vielle-Soubiran avait subi les premiers dommages. C'est devant Arouille, où on resta deux jours, que l'armée fut organisée et scindée en trois corps. On déploya les étendards, on arbora la croix rouge de Saint-Georges. (On trouve un lieudit Saint-Georges à 2 kms au nord d'Arouille !), et plusieurs damoiseaux furent armés chevaliers, comme Janekin de Beresford.
Il faut imaginer ici , dans la lande, un camp hétéroclite de tentes, de milliers d'hommes d'armes et de chevaux, avec leur suite de maréchaux-ferrants, charpentiers, forgerons, selliers , charretiers, domestiques et clercs, puis la centaine de chariots de l'intendance et des réserves.
Une avant-garde de trois mille hommes d'armes fut mise sous les ordres du connétable, comte de Warwick. S'y trouvaient le maréchal Reginald de Cobhan, sir Beauchamp du Sommerset, sir Clifford, sir Thomas de Hampton, porte étendard, et sept barons gascons.
Le corps de bataille comptait sept mille hommes d'armes commandés par le Prince Noir, accompagné par le comte d'Oxford, sir Bartholomew de Burghersh, sir Johan de Lysle (qui y perd la vie le 15 octobre suite à un trait d'arbalète), sir Villoughby, sir de la Warr, sir Maurice Berkeley, sir John Bourchier, sir John Roos. Parmi les chefs gascons se trouvaient bien sûr , le jeune et renommé Captal de Buch Jean III de Grailly (qui, cinq ans plus tôt, avait épousé Rose d'Albret, fille de Bernard d'Albret, vicomte de Tartas), le seigneur Bertrand de Montferrand, porte étendard, et le seigneur de Caumont.
Une arrière garde comptant quatre mille hommes d'armes fut placée sous le commandement des comtes de Suffolk et de Salisbery, accompagnés des gens du gascon Guillaume-Sanche, sire de Pommiers.
Même fortifiée, la petite bastide ne pouvait offrir une protection suffisante pour résister aux assauts d'une armée. Aussi, le capitaine du château, Guillaume de Raymond, se rendit, sans doute même en ayant négocié avant l'arrivée des troupes.
Arouille fut détruite par le feu. Le chroniqueur anglais Geoffrey the Baker rapporte que "Ceux qui le désiraient partirent, prirent les provisions, pillèrent, brulèrent le territoire ennemi, et firent tout ce qui pouvait ramener le pays dans la paix du roi". Le château de Beroy à Betbezer, siège de la vicomté fut pris et donné à Archambaud bâtard de Marsan. (Il n'en reste aujourd'hui que l'emplacement sur la motte féodale près du manoir actuel de Juliac). Furent également ravagés, le donjon du Reys (ou Reyset, )au nord-est de Créon d'Armagnac, ainsi que le hameau et la commanderie de Géou, De fait, les opérations militaires se répandirent naturellement aux alentours en quête de vivres et fourrage dans toute la contrée située entre Roquefort et Créon. On semble avoir évité Saint-Justin et Labastide-d'Armagnac, comme plus tard les forteresses et villes défendues, pour mieux dévaster bourgs et villages désertés par les habitants en fuite.
A partir de là, l'armée anglo-gasconne marcha de front en trois colonnes vers le sud-est pour gagner le château et incendier la ville de Monclar. Puis ce fut Estang et Panjas sur la route vers Nogaro. L'expédition se poursuivit vers Plaisance, Bassoues et Mirande atteint le 21.
Dans ces terres d'Armagnac , elle ne rencontra pratiquement aucune véritable résistance, si ce ne fut,çà et là, quelques corps de troupes seigneuriales locales. Jean d'Armagnac laissa le champ libre et se retira sur Toulouse. Seulement . L'expédition se résuma alors en invasion de brigands faite de maraudes, brigandages, pillages, destructions, dévastations des campagnes
Dans ces terres d'Armagnac , elle ne rencontra pratiquement aucune véritable résistance, si ce ne fut,çà et là, quelques corps de troupes seigneuriales locales. Jean d'Armagnac laissa le champ libre et se retira sur Toulouse. Seulement . L'expédition se résuma alors en invasion de brigands faite de maraudes, brigandages, pillages, destructions, dévastations des campagnes
On sait la suite de cette chevauchée éclair vers Toulouse, portant le fer, le feu et la terreur jusqu'au Languedoc sans livrer bataille, ruinant, pillant, brûlant tout sur son passage jusqu'à Narbonne, puis le retour vers Bordeaux, début décembre, avec les chariots chargés de butin.
NOTES
(1) Ch. Bemond - Roles Gascons T2 n°1033 (De pariagio et communione factis inter regem et Arnaldum Guillelmi de Malo Vicino, domicellum, de vicecomitatu de Juliaco -1289)
"... dedit, cessit et donando concessit pure et libere predicto vicecomiti ibidem presenti, medictatem pro indiviso illius partis quam habet dictus res et dux et habere debet in bastida vocata de Ruhla et ejus pertinenciis, in quantum est sita infra pertinencias dicti vicecomitatus, salvo et retento domino regi et duci et ejus succesoribus capitolio seu fortalicio quod habet in dicta bastida de Rulha ..."
"... dedit, cessit et donando concessit pure et libere predicto vicecomiti ibidem presenti, medictatem pro indiviso illius partis quam habet dictus res et dux et habere debet in bastida vocata de Ruhla et ejus pertinenciis, in quantum est sita infra pertinencias dicti vicecomitatus, salvo et retento domino regi et duci et ejus succesoribus capitolio seu fortalicio quod habet in dicta bastida de Rulha ..."
(2) Ch. Bemont - Recogniciones feodorum in aquitania n°73 (reconnaisance d'Arnaud Loup de Lasserre, chevalier)
"... affarium seu tenementum et vetus castellare d'Arulha in parochia Sancti Severii d'Arhulla ..."
"... affarium seu tenementum et vetus castellare d'Arulha in parochia Sancti Severii d'Arhulla ..."
Le prince Noir représenté jeune, mur, ... et gisant
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A LIRE
P. Hoskins - Dans les pas du Prince Noir -le chemin vers Poitiers 1355-1356 - Paris L'Harmattan 2011
M. L. de Santi - L'expedition du prince Noir en 1355 d'après le journal d'un de ses compagnons -dans Mémoires de l'Académie des siences inscriptions et belles-lettres de Toulouse 1904 p 181à223
L'Aquitaine au temps du prince Noir -Actes du colloque de Dax, sous la direction de Jacques de Cauna - EDR Editions des Régionalismes, 2016 .
M. Romieu- Histoire de la vicomté de Juliac -1894
les bastides anglaises dans les Landes