LE CHATEAU DISPARU DE DAX




Lorsqu'on entre dans Dax par le pont de pierre sur l'Adour, l'œil est immédiatement attiré par l'imposante et majestueuse silhouette du Splendid, grand hôtel construit en 1928 dans le style art déco sur les vestiges d'un précédent établissement thermal détruit par un incendie. (Hôtel un temps fermé pour n'être plus rentable, puis réouvert au mois d'avril 2018 après réhabilitation et rénovation complète)

Mais qui se souvient que jusqu'à à la fin du XIXe siècle, cet emplacement était occupé par un vieux château dont l'origine remonterait à la fin du XIIe ou au début du XIIIe siècle ?


évocation d'après une vue de Dax en 1612

De fait, ce qui subsistait avant la destruction n'avait rien de très remarquable. Les bâtiments massifs, l'assemblage d’éléments disparates et sans caractère issus de nombreux remaniements du vieux château au cours des siècles, offraient finalement peu d'intérêt architectural ou archéologique. L'intérêt n’en était pas moins historique en raison des nombreux sièges, assauts, prises et reprises dont il fut l'objet depuis sa conquête par Richard Cœur de Lion en 1176, principalement au XVe siècle de la part des Anglais et Français comme Charles VII en personne en août 1442 (repris à peine un mois plus tard et restant anglais jusqu’au nouveau siège par le comte de Foix en 1451), amenant Louis XI, qui y séjourna une vingtaine de jours en mars 1463, à en ordonner les réparations à ses frais.

Extrait de la  Guyenne monumentale - lithographie de Philippe Jules- Jean-Baptiste Légé.


Situé à l’angle nord-ouest de l'enceinte gallo-romaine du IVe siècle sur laquelle il s'appuyait, en bordant la muraille nord, ce château fort contrôlait le passage de l‘Adour et son pont fortifié et commandait l’entrée de la cité située à l’époque médiévale à une nouvelle porte dite Notre-Dame sur le rempart Ouest , entre les deux grosses tours gallo-romaines.

Certains auteurs avancent, mais sans preuves, qu’il aurait été construit dès le XI° siècle et que la base du grand donjon serait le vestige du château primitif qui remonterait à Louis le Débonnaire, roi carolingien d’Aquitaine. Ce donjon rectangulaire de 11 mètres sur 9 mètres, aux murs épais de 2 mètres, sans contreforts, comportait au moins deux étages voûtés d’ogives. Le rez-de-chaussée était aveugle et sans lien avec l’étage. Au-dessus, un escalier à vis donnait, à partir de l’étage, accès aux parties hautes (où des cheminées avaient été aménagées en 1457). Mais ce donjon, dit tour Mirande, d’une hauteur primitive d’une trentaine de mètres, fut abaissé de huit mètres lors des réparations rendues nécessaires en 1610 par son état de délabrement, et aménagé en terrasse couverte pour l’artillerie.

S'appuyant sur la façade Est, un logis comportait un rez-de-chaussée divisé en deux salles, et un étage composé d'une seule grande salle de 15 mètres.




Les parties les plus anciennes étaient constituées également par la base et la salle voûtée d’une grosse tour au Sud, dite tour des munitions, face à l‘actuelle rue des Carmes, et, à son coté, la tour hexagonale abritant un escalier à vis. Mais la majeure partie des constructions séparées de la ville par un fossé, paraissent ne remonter qu'au début du XIVe siècle, date de reconstruction du château sous la domination des rois d’Angleterre, ducs d’Aquitaine, qui lui donnèrent sa configuration en trapèze de 80 mètres sur 30 mètres. A cette époque les côtés Sud et Est, vers la ville, jusqu’alors fermés par de simples palissades, furent construits. La porte et le pont-levis furent aménagés au XIIe ou XIVe siècle face à la place Thiers actuelle. Une nouvelle entrée fut aménagée en 1871 donnant sur la place Poyanne (cours de Verdun actuel)


Le château fut successivement le siège de l'ancienne vicomté gasconne aux XIe et XIIe siècles, puis résidence du prévôt royal à partir du XIIIe, et enfin des Gouverneur militaires de Dax, notamment des marquis de Poyanne. Une garnison y vivait à demeure ( En 1320 il était gardé par cinq chevaliers et quatre-vingt dix sergents à pied)

Une lettre de M. de Châteauneuf, ministre de la guerre aux maire et jurats de Dax (Saint-Germain en Laye, 2 février 1670) évoque l'incendie de la tour du château, et le maintien par M. de Poyanne de l'emprisonnement du sieur Félix, major, et de son valet qui paraissent en être responsables



Dessin d'Anatole de Roumejoux - 1888 (Archives départementales de la Dordogne Cote 41 Fi 08 )

plan du château en 1688
-dépôt archives du Génie à Vincennes-

A, donjon, tour Mirande et prison -B, vieille salle -D,porte Notre-Dame - E, demi bastion - F, logis du Gouverneur- K, citerne - M, vieilles casernes rebâties en 1690 -N, grosse tour de l'arsenal - O, logis du major - P, tour des Nobles, poudrière - Q, place du château - R, fossé à demi comblé, sources chaudes -( non identifiée: G,la tour de Diane)


plan du premier étage en 1682

(source SRPI Aquitaine -inventaire général du patrimoine culturel)


plan de 1693 (BNF)

plan de 1723
 (source BNF gallica.bnf.fr)

un autre plan du XVIIe siècle
(source BNF gallica - coll. Gaignières)



Déjà profondément modifié et complété au cours des XVIe et XVIIe siècles, il fit l'objet de derniers travaux du Génie militaire au début du XIXe siècle pour être transformé en caserne en 1822 ( Alfred de Vigny y resta quelques mois en tant que lieutenant entre 1823 et 1825)

A cette époque, l'intérieur était constitué d'une grande cour pavée, et de quatre principaux corps de logis à deux étages et plusieurs plates formes sur le coté du fleuve. Les constructions intérieures sont attribuées aux marquis de Poyanne, mais de ses appartements ne subsistaient alors que les trumeaux des cheminées du XVIIe siècle

vue extraite de La France Illustrée 1881

une vue de 1860 signée Gustave Doré
extraite de Taine 'Voyage aux Pyrénées"



Déclassé et désaffecté, le château est rendu en 1888 à la ville, qui le cède à la Société de Dax-Salins-Thermal pour être finalement rasé en 1891 et remplacé par un casino et un luxueux établissement thermal qui est ravagé par un incendie en 1925. C'est sur ses ruines qu'est construit le Splendid Hôtel que l'on voit aujourd'hui.

Aspect de la cour intérieure avant sa destruction

derniers vestiges - tour nord et démolition en 1891
(source SRPI Aquitaine - coll. Société de Borda)

emprise du dernier château sur la place Thiers

Vestiges de voutes sous l'hôtel Splendid
(photo Sud-Ouest - Loïc Dequier)

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LES PONTS DISPARUS
Un pont de l'époque antique ?

Dès l'antiquité, un pont de pierre contemporain des remparts aurait relié la rive droite de l'Adour et voie romaine venant de Bordeaux, au centre de la cité de Dax. Sa localisation supposée le fait aboutir entre les deux tours semi-circulaires de l’enceinte du Bas-Empire intégrées au château au cours du Moyen Âge, à une porte dont on a découvert l'existence, à côté du donjon du château au moment de sa démolition. ( au droit de la rue des Carmes) C'est l'opinion d'Hector Serres (bull. Société de Borda 1894 -LXXIII) contredisant celle de  MM Dufourcet et Camiade dans l'Aquitaine historique et monumentale, qui attribuaient aux romains  la construction du pont de pierre qui aboutissait à la porte Notre Dame et qui fut emporté par une crue en 1770.
Cependant, la date de construction et l’emplacement de cet ouvrage sont hypothétiques et  sujets à caution. Des sondages ont bien identifié une série de maçonneries interprétées comme des fondations de piles de pont en pierre se développant depuis la rive droite pour aboutir rive gauche à l’angle de l’Hôtel du Splendid, installé sur l’emprise du château médiéval. Mais des prospections subaquatiques seraient nécessaire dans le secteur compris entre les vestiges du pont médiéval  étudiés par l'Inrap en 2005 et le pont actuel, susceptible de renfermer les vestiges d’un pont antique ou médiéval ancien.

Un pont de pierre du XIVe siècle

Plus en aval du pont antique présumé, il aboutissait à la porte Notre-Dame, au pied de la tour d'angle, dite tour Mirande (cette porte décalée ayant remplacé l'antique porte de l'Adour obstruée par le château). C'est celui qui figure  sur le plan de M de Classun en 1638 , la vue cavalière, le plan du génie et le plan du château de 1736.
 En 1568, M. André la Serre ( De la ville d'Acqs .... BNF) parlait d'un " grand et fort beau pont de pierre à grands arceaulx et fort hault, avec un pont levis au milieu, et sur le dit pont y a deux fortes et belles tours habitables et de desfense, dont l'une est depuis quelques temps abattue.Le dit pont va respondre de dedans le dit lieu S. Paul à la porte Nostre-Dame. Plusieurs pensent que c'est le pont appellé par les romains de Montrepoli
Un pont est donné comme ayant pu être bâti  dès le IXe siècle sous le roi carolingien d'Aquitaine, Louis Ier, dit « le Pieux » auquel a été attribué le château primitif, mais il est plus vraisemblable que sa construction date de la première moitié du XIVe siècle, vers 1310-1320. Il aurait alors remplacé un pont du XIIe siècle évoqué par le cartulaire de la cathédrale. Il est attesté en 1337.
 Il aboutissait, avant la construction du bastion Sainte Marguerite au XVIe siècle, en dehors de la ville. Du fait de la présence du château il aurait donc été décalé et expliquerait ainsi l'existence d'une porte ogivale percée dans le mur du IVe siècle contre la tour Mirande, à l'angle N.O.  de la cité. et non au centre de l'enceinte. 

Les représentations connues de ce pont médiéval diffèrent sur le nombre de piles visibles, sur l’élévation du pont et plus largement sur son aspect général. En revanche, elles s’accordent sur la dissymétrie de l’ouvrage et l’hétérogénéité des piles tant par leur forme, leur volume, leur orientation que leur équidistance.

La vue de Dax en 1612 figure un pont à tablier droit soutenu par cinq piles et quatre arches voûtées. Des refuges semi-circulaires, et un seul triangulaire, sont visibles sur la chaussée au niveau des piles et forment autant d’avant-becs et d’arrière-becs qui s’enfoncent dans le fleuve. Sur la troisième travée, une tour-porte fortifié, châtelet près de la rive du Sablar contrôle la circulation. 
Un plan de 1724, figure un pont de huit piles séparant neuf arches voûtées en arêtes.  
Un plan de 1723 figure deux avant-becs méridionaux de formes triangulaires et aucun aménagement de ce type du côté aval. Il présente également le détail du point de contact  avec l’angle nord-ouest du château et la porte d’accès à la ville dénommée “Porte de France”.

Selon J. Marsan *, le pont Notre-Dame “avait une longueur totale de 74 toises et demi (145,20 m), une largeur au tablier de 3 toises (5,84 m) avec seulement 2 toises (3,89 m) pour la chaussée ; il reposait sur 10 piles, toutes différentes tant par leurs formes que par leurs volumes et cependant toutes apparemment de la même hauteur. Il n’était pas surélevé au milieu comme la plupart des autres ponts. Les piles étaient situées à des distances très variables, les arches au nombre de 6 avaient des ouvertures très inégales, tout cela rompant avec la symétrie des autres ponts et le rendant particulièrement original”.
* Marsan, J. (2001) : “L’ancien pont Notre Dame de Dax”, in : L’Adour maritime de Dax à Bayonne, Actes du LIIIe Congrès d’Études Régionales de la FSHO tenu à Dax et à Bayonne les 27 et 28 mai 2000, MSHA, 175-181.

 Au cours du XVIIIe siècle, et malgré plusieurs campagnes de travaux, deux arches s’écroulèrent en 1754. Le pont déjà fragilisé fut ensuite endommagé par une crue en 1765. Malgré de nouvelles réparations en 1766, un pilier et deux voûtes se seraient effondrées sous l’effet d’une nouvelle inondation en 1768,  et la une crue particulièrement violente du 6 avril 1770 emporta toutes les autres arches, entrainant la destruction définitive du pont.
S'ensuivit la succession des ponts en bois, provisoires ou pas, entre 1773/1775, 1792/1822 jusqu'à la construction du pont de pierre actuel, dit "vieux pont" mis en service en 1857.


A LIRE
P. Calmettes, C. Scuiller -Les franchissements de l'Adour à Dax du Moyen Age au XIXe sièecle dans Revue interrégionale d'archéologie Aquitania - T 30 - 2014 -p 335 à 368.

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Lors de la démolition, la Société Dax Salins Thermal a récupéré et offert au musée de Borda une des portes de la petite tour hexagonale, comportant d’énormes serrures, ferrements et multitude de gros clous à tête, quatre grandes serrures provenant de cette même tour, de la cave de la tour des Munitions et deux des prisons du donjon, un chapiteau carolingien en pierre et une pierre avec chrisme trouvés dans le blocage du premier étage de la tour des munitions, diverses pierres de chapiteaux réemployés, et une grande dalle en marbre blanc comportant une inscription gallo-romaine, découverte dans les fondations des murs.

monnaie carolingienne - Louis le Pieux(ou Débonnaire)- frappée au château de Dax

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devis de travaux au château de Dax, initiés par le baron de Poyanne en 1610
( extrait Bull. Société de Borda 1928)

triste état de l'artillerie du château de Dax en 1607
(extrait Revue de Gascogne- T21-1880 - J Carsalade du Pont - Trois barons de Poyanne)





Un mariage au château à la fin du Carnaval 1683

Fêtes à l'occasion du mariage de Louis de Pardaillan, dit comte de Gondrin, marquis de Savignac, sénéchal des Lannes et de Bayonne,  avec Jeanne-Marie-Josèphe de Baylenx, demoiselle de Poyanne, soeur cadette d'Antoine de Baylenx, marquis de Poyanne, gouverneur de la ville et du château.

" La cérémonie des fiançailles fut faite dans l'Eglise Cathédrale le Dimanche-gras à dix heures du soir, par Mr de Bergoing, Vicaire Général de Mr l'Evesque d'Acqs. Le discours qu'il fit aux Fiancez sur l'état qu'ils alloient prendre, charma toute l'Assemblée, qui se rendit ensuite jusqu'au Chasteau, où il y eut un bal jusqu'au jour. Mr le Comte de Gondrin, et Mademoiselle de Pochonne(sic) ne s'y firent pas moins admirer par leur bon air à la Dance, que par la magnificence de leurs Habits. Ils allèrent recevoir le lendemain la Bénédiction Nuptiale, et eurent la satisfaction de voir les Ruës pleines de Peuple, qui leur souhaitoit toutes sortes de félicitez dans leur mariage. La foule avoit esté si grande le soir précédent dans la Cathédrale, que Mr le Marquis de Poyanne fit mettre des Gardes aux Portes de l'Eglise. Ils trouvèrent au retour, dansla place de Pochonne, divers Détachements des Compagnies de la Ville, leurs Officiers à la teste, qui leur marquèrent leur joye par plusieurs décharges de Mousqueterie; à quoi la Garnison su Chasteau, qui en bordoit les Remparts, ne manqua pas de répondre. Le bruit du Canon se fit ensuite entendre fort loin. Lors qu'on fut rentré dans le Chasteau, on trouva un magnifique Dîné, où tout ce qu'on pouvoit donner dans la Saison fut servy en abondance. L'apresdînée les Mariez reçeurent les Complimens de tous les Corps de la Ville, et des plus considérables de l'un et de l'autre Sexe, qui s'empressèrent, chacun en particulier, à leur venir témoigner leur joye. Le Soupé suivit avec autant de magnificence et de propreté qu'on en avoit veu au premier Repas. Il y eut un second Bal dans le mesme Sallon où l'on avoit déjà dancé. Il estoit éclairé de quantité de beaux Lustres, et orné de plusieurs grands Miroirs, dont la réverbération faisoit un effet très agréable. On avoit illuminé les Fenestres en dehors, et ces Lumières sembloient inviter tous les Habitans à prendre part à la joye qui régnoit dans le Sallon. Aussi leur vit-on donner toutes les marques possibles de celle qu'ils ressentoient. Ces réjouissances durerent plusieurs autres jours avec le mesme oredre, et une très bonne Symphonie"

(Le mercure galant avril 1683)