DE LATECOERE AU M51.

 

Pierre Latécoère qui avait contribué à la naissance de l’Aéropostale sur le site de Toulouse-Montaudran rêvait de traverser l’Atlantique en créant une ambitieuse ligne aérienne reliant Toulouse à Santiago du Chili. La difficulté à l’accomplir en avion classique de l’époque lui fit préférer l’option de l’hydravion capable de décoller et de se poser sur l’eauEn recherche d’un plan d’eau propice aux essais en vol d’hydravions de gros tonnages, son choix se porta sur le lac de Biscarrosse qui offrait une situation idéale : 

Un plan d'eau douce immense ((35,4 kms2) offrant une ligne de décollage de 10 kms bien abritée des vents d'ouest par un cordon dunaire, proche de  vers l'Amérique, et pas trop loin de l'usine de fabrication toulousaine.


C'est ainsi que Biscarrosse accueillit une base Latécoère à partir de 1930. Les pièces détachées des hydravions fabriquées à Toulouse arrivaient à Biscarosse par de lents convois routiers, puis assemblées et testées en vol sur le lac.

source Musée de l'hydraviation Biscarrosse

Pendant les années qui suivirent, outre 96 torpilleurs monomoteurs et 4 prototypes, 123 gros hydravions firent ici leurs essais techniques et premiers vols faisant la renommée de Biscarrosse. Ce fut le cas de l’hydravion postal Latécoère 300 baptisé « Croix du sud » avant qu’il ne soit remis à Air France pour les traversées entre Dakar et Natal au Brésil, mais qui disparut dans l’océan Atlantique avec son pilote, Jean Mermoz, et son équipage le 7 décembre 1936.


Ce fut aussi le cas du Latécoère 521 baptisé « Lieutenant de vaisseau Paris » qui, piloté par Henri Guillaumet accompagné d’Antoine de Saint-Exupéry, bâtit, en 1939, le record de la traversée directe de New York à Biscarrosse (sans passager, puis jamais été mis en exploitation en raison de la guerre).

Ce fut surtout le cas du malheureux Latécoère 631, le plus grand hydravion de l’époque avec ses 58 m d’envergure, ses 72 tonnes, et ses 6 moteurs, créé en 1942 pour transporter une quarantaine de passagers

source Musée de l'hydraviation Biscarrosse

En suivant, la Compagnie Générale Aéropostale s’installa à Biscarrosse, et l’Etat français converti à la conquête commerciale de l’Atlantique nord décida l’implantation d’une « hydrobase » au lieudit les Hourtiquets, constituant  un aéroport international pour hydravions transatlantiques. La construction de trois hangars, de bureaux, d’une tour de contrôle et même d’un hôtel des passagers fut achevée en 1939.
les hangars

source Musée de l'hydraviation Biscarrosse
La base

Occupé par l'armée allemande pendant la seconde guerre mondiale ((leurs appareils ravitaillaient les sous-marins dans le golfe de Gascogne) et détruit, cet aéroport fut reconstruit et pourvu d'équipements modernes à la fin des hostilités.

Finalement, cette « hydrobase » ne fut vraiment opérationnelle qu’en 1946. La jeune compagnie Air-France ayant absorbé l’Aéropostale et crée Air France Transatlantique, établissait les premières lignes et vols réguliers de passagers de Biscarrosse vers New York, les Antilles, et le Brésil.

Une ligne Biscarrosse-Fort de France était inaugurée en 1947 avec deux rotations par mois par le Latécoère 631. Ainsi, depuis la gare Air France des Invalides à Paris, les voyageurs (aisés) arrivaient par le train à Bordeaux, (10heures) puis prenaient un autocar pour rejoindre Biscarrosse. Là, ils pouvaient parfois attendre deux à trois jours que la météo soit favorable et que l’appareil soit en état avant de pouvoir décollerDes compagnies aériennes allemandes, anglaises ou américaines ‘(Panam) y firent même escale.

source BNF

Malheureusement, le 21 février 1948, un appareil parti du Havre disparut corps et biens dans la Manche au cours de son transfert vers Biscarrosse (19 victimes), puis, le 1er août, un second, parti de Fort-de-France pour Biscarrosse, disparut en plein Atlantique (52 victimes).

Ces drames sonnèrent le glas de ce avions-paquebots, d’autant que le 28 mars 1950 un troisième hydravion géant 631, parti de Biscarrosse pour des essais, explosa en vol et s’abima en mer au large du Cap Ferret en faisant 12 victimes.

Le succès de l’hydravion avait du plomb dans l’aile, alors que les avions classiques avaient rapidement progressé. Cela provoqua la fermeture de la base de Biscarrosse dans les années 50. Un terrain de 528 hectares fut bien acheté au lieudit Lahitte, entre Biscarrosse et Parentis, pour y établir un aéroport moderne desservant la France et l’Europe en prolongeant ainsi les lignes transatlantiques d’hydravions, mais la guerre interrompit le projet. (C’est l’actuel aérodrome terrestre des Grands Lacs). De toutes façons, l’éloignement des grandes villes et l’absence de desserte du chemin de fer s’avéraient préjudiciables à la rentabilité du site.

Peu de vestiges de cette folle épopée ont survécu. Les deux hangars métalliques furent démontés en 1992, les bâtiments de la Vigie laissés à l'abandon (inscrits MH en 2012), et l’ancien Hôtel des Passagers fut aménagé en colonie de vacances.

Pourtant, Biscarrosse dont le lac reste l’une des deux seules hydro-surfaces utilisables tout au long de l’année en France, continue encore aujourd’hui à s’affirmer comme la capitale de l’hydraviation. Elle accueille tous les deux ans un rassemblement international (RIHB), qui réunit de nombreux hydravions de collection ou contemporains, des pilotes de diverses nationalités, et présente un show aérien spectaculaire. (Le 2 mai 2004, deux avions monoplaces d’une patrouille de voltige s’y télescopèrent et s’abimèrent dans le lac, causant la mort d’un pilote).

photo Fabien Fontaine/Julien Bodin

Un Musée créé en 1982 sur les lieux de l’ancienne base, retrace l’histoire de l’hydraviation et présente plusieurs modèles d’anciens appareils…et des plus modernes comme l’emblématique Grumman Albatros américain.

 

 MAIS BISCARROSSE RESTE A LA POINTE DE L'INNOVATION

Après l’épopée des hydravions plus ou moins fiables de Latécoère, Biscarrosse resta à la pointe de l’innovation en accueillant les instruments de la dissuasion et de la frappe nucléaire française, pour devenir l’unique centre d’essai de missiles tactiques ou stratégiques à très longue portée en Europe.


En effet, sur 15 000 hectares de dunes (25 km de long et 7 km de large), à cheval sur Biscarrosse et Mimizan, entre l’océan et le massif forestier, se trouve le Centre d’essais des Landes (CEL). Créé en 1962 pour la poursuite des essais de missiles militaires jusqu’alors effectués dans le désert du Sahara algérien, il est devenu un site majeur pour l’expérimentation de missiles et autres systèmes d’armes en France.  C’est ici qu’ont eu lieu les premiers essais de missiles nucléaires tactiques (Pluton, puis Hadès) puis plus de 10 000 essais en vol de missiles et des tirs sur rails de simulation dynamique.

On y tire et teste aujourd’hui les missiles balistiques non armés d’une portée de plusieurs milliers de kms, au-dessus de l’Atlantique, comme le M51-3 (missile mer-sol balistique stratégique à têtes nucléaires, déployé sur les sous-marins lanceurs d’engins) lancé (non armé) au soir du 18 novembre 2023 qui a illuminé le ciel et impressionné la population du sud-ouest.

Devenu Centre d'essais de lancement de missiles (CELM), il forme aujourd'hui la division Essai de Missiles de la Direction Générale de l'Armement (DGA)