MARIE LATASTE : L'ILLUMINEE MYSTIQUE DE MIMBASTE ?



La courte vie de cette jeune paysanne chalossaise qui entra dans les ordres à l’âge de vingt-deux, interpelle. Elle finit bien humblement une carrière obscure de religieuse avant de mourir à l’âge de vingt-cinq ans, et, de fait, n'est connue que par la publication, à partie de 1862, de son journal, sa correspondance et ses mémoires qui révèlent une vie généralement reconnue comme étant authentiquement mystique.
Née à la ferme du Grand Cassou, près du bourg de Mimbaste, le 21 févier 1822 (le 24 à l’état-civil !), elle est la fille cadette, après ses deux sœurs ainées Quitterie et Marguerite, de modestes paysans, François Lataste et Elisabeth Pourlet.
Très pieuse, comme toute sa famille puisque sa sœur ainée fut également religieuse, elle a très tôt des expériences mystiques. Il est dit que sa première communion faite dans sa douzième année, et la confirmation reçue peu de temps après dans l'église de Pouillon, des mains de Mgr Savy, évêque d'Aire, furent le tournant de sa vie. A tel point que le Saint Sacrement devint sa pensée centrale, et l’objet d’une profonde dévotion. C’est ainsi que selon son témoignage, elle vit, vers la fin de l'année 1839, alors qu’elle n’avait que dix-sept ans, le Christ présent sur l'autel de la petite église paroissiale, pendant l'élévation : « Il était environné de ses anges, mais comme voilé par un nuage lumineux qui empêchait de le distinguer parfaitement ». Cela se serait reproduisit le jour de l'épiphanie de 1840, et elle aurait reçu cette faveur et ces visions pendant trois années consécutives jusqu'en 1843.
Au cours des différentes "rencontres" ou expériences mystiques qui suivirent, elle aurait ainsi recueilli les instructions doctrinales de la bouche même de Jésus, la formant à une éducation spirituelle et doctrinale complète. Il lui aurait ainsi expliqué les principales vérités de la foi assorties de visions symboliques, ou de paraboles. Elle fait état d’une série de révélations données comme surnaturelles et divines, des instructions, des communications qu'elle assure avoir reçu du ciel.
Son confesseur, l'abbé Darbos, curé de Mimbaste, la guida durant les premières années. Puis, ce fut, en 1840, l’abbé Pierre Darbins qui lui succéda à la cure. Il la rencontra à son tour et devint son directeur spirituel. Elle lui raconta les événements qu’elle avait vécu, et les révélations reçues. L'abbé sollicita alors l'abbé Dupérier, directeur et professeur de théologie au grand séminaire de Dax. Ils lui demandèrent de mettre par écrit tout ce qu'elle avait vu et entendu par le passé et de tout ce qu'elle verrait, entendrait et éprouverait à l'avenir. Elle avait alors dix-neuf ans, et bien que sans instruction autre que celle donnée par sa mère, n'étant jamais allée à l'école, et sachant à peine lire et écrire, elle rédigea sur cahiers, pendant deux ans, selon ce que sa mémoire lui rappelait, des instructions et des paroles du Sauveur, et tout ce qui lui a été donné d'entendre et de voir.
Sans doute intelligente, n’a-t-elle pas été inspirée par une imagination exaltée et son orgueil, en tout cas un certain manque d'humilité, pour se convertir en visionnaire illuminée et même prophétesse ?
Elle écrivit en particulier qu’elle a eu une vision (non datée) prédisant qu'un pape monterait bientôt sur le siège de Saint Pierre et proclamerait le dogme de l’immaculée Conception, donc bien avant l’élection de Pie IX et la déclaration du dogme de l’Immaculée Conception qui n’est intervenue que plusieurs années plus tard, en 1854. Ce serait le plus surnaturel dans ses écrits, encore que ceux-ci n’ont été publiés qu’en 1862. De toute façon ce dogme était bien dans l'air du temps et déjà réclamé par la dévotion populaire.
Ses écrits comportent également quelques révélations ou prédictions d’évènements futurs, en particulier l’annonce de sa propre mort avant les vingt-six. D’autres sont plus confuses sur l’état de la France, la révolution de 1848, la personne de Louis-Philipe, la mort de l’archevêque de Paris, les persécutions de Pie IX par les troupes piémontaises et les évènements de Rome en 1870 ; certaines vaseuses ou fausses. Et en vérité il faut être un spécialiste de la rhétorique religieuse pour s’attaquer à la lecture de son œuvre.
Le 21 février 1844, elle donna la propriété pleine et entière de ses écrits à son directeur : « C'est à vous de juger comment, de quelle manière et en quel temps vous pourrez vous servir de mes cahiers pour faire le bien ou s'il ne vaut pas mieux les détruire. »
On soumit ces cahiers manuscrits à Mgr. Lanneluc, évêque d’Aire et de Dax, et à plusieurs directeurs du séminaire, pour vérifier la conformité des écrits à la sainte Écriture et à l’enseignement de l’Église. 

Et, en 1862, l’abbé Pascal Darbins, neveu de l'ancien curé de Mimbaste qui lui a remis les manuscrits (plus de 1200 pages), publia « La Vie et les Œuvres de Marie Lataste, en trois tomes (ed. Ambroise Bray, Paris). 

C'est la même année que les apparitions de la vierge "Immaculée Conception" à Bernadette Soubirous furent reconnues par l'Eglise. Il faut dire que c'est la grande époque de la vierge qui apparut en 1830, à Paris, à Catherine Labouré, elle aussi sujette à des visions ou à des prémonitions, puis en 1846, à La Salette, à la bergère Mélanie Calvat..




La réputation de l'humble et jeune villageoise commença à s'étendre. L'évêque Mgr. Epivent autorisa en 1866 (année du couronnement solennel de Notre-Dame de Buglose) la réimpression du livre en ordonnant que cette deuxième édition soit collationnée avec les cahiers originaux de Marie Lataste. Mais il ne manqua pas cependant de préciser qu'il n'entendait pas " se prononcer sur la vérité ou la nature des révélations auxquelles ces récits se rapportent, comme à leur origine".

Plusieurs éditions de « La vie et les œuvres de Marie Lataste » ont ensuite été publiées entre 1862 et 1877. Après une période d’oubli, une cinquième parut en 1974 et une plus récente en 1999.



Bien sûr, les opinions sont diverses et les commentaires plus ou moins bienveillants. Est-ce le vrai texte qui a été publié.? Ce qui a été publié doit-il être considéré comme authentique, ou plutôt de la plume des abbés, ou des larges révisions des correcteurs jésuites ? Même les autorités religieuses, sans remettre en question les expériences mystiques, ont reconnu que le "vrai texte" de ses révélations a probablement été tellement interpolé par l'éditeur trop libre de son montage et commentaire, pour qu'ainsi les versions imprimées des œuvres de Marie Lataste ne soient pas aussi complètement venant d'elle et vraiment authentiques. 

D’ailleurs, que sont devenus les originaux de ses cahiers manuscrits ?
Si on ne pouvait contester à Marie Lataste une ferveur spirituelle exceptionnelle, comment cette paysanne illettrée à l'origine, obtint par sa seule piété, un tel don d'écrire s’élevant à la hauteur de la littérature théologique hors du commun ? Comment une jeune fille sans instruction a pu écrire sur les questions théologiques ardues, tant dans l'explication des dogmes que de la morale et la spiritualité catholique ?
On remarque qu’à partir de l’âge de huit ans, Marie Lataste était semble t’il devenue une enfant solitaire, timide, réservée et taciturne. De son aveu même elle était complexée par sa pauvreté, et avouait haïr le monde, rien ne lui semblant digne d'occuper son esprit et son cœur ici-bas. Seule la foi la rassurait, la consolait de ses manques et de sa tristesse, et lui procurait tranquillité, confiance, sérénité et joie intérieure. Et, de fait, ses écrits révèlent un personnage ambitieux, fier voire orgueilleux.
D’autres remarquent que dans ce que Marie Lataste appelle instructions mêmes de Jésus Christ, on ne trouve rien à apprendre qui ne soit dans les lieux communs de tous les livres de piété.  Ne serait-alors que l’interprétation de ce qu’elle a pu lire dans quelques livres ascétiques sur les conseils de son curé ?
Et puis, tout cesse après son but atteint par l’acceptation de son entrée dans la congrégation du Sacré Cœur. Sa pensée dominante, son idéal fut en effet d’arriver à y être religieuse, le plus grand honneur auquel pouvait prétendre une fille de sa classe.
Et si tout ce qui précède n’était qu’une supercherie ayant permis à Marie Lataste de sortir de son obscurité et de parvenir à ses fins, et que les jésuites, non dupes, mais complices, tirèrent profit des extraordinaires ressources de « l’illuminée » visionnaire.
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Désirant devenir religieuse, elle en obtint l'autorisation le 21 avril 1844 de la société et congrégation du Sacré-Cœur de Jésus crée en 1800 par la future sainte Madeleine-Sophie Barat, pour l'éducation des jeunes filles. En mai, elle quitte donc Mimbaste pour Paris et se rend à l'hospice des Enfants trouvés, rue d'Enfer, où réside sa sœur ainée Quitterie, fille de la charité de Saint Vincent de Paul.
Après l'échec d'une demande d'audience par l'abbé Dupanloup qui lui avait été recommandé, elle a été reçue à l’Hôtel Biron par Madame de Boisbaudry, assistante de la mère supérieure E. de Gramont, qui l’a fit examiner par un guide spirituel expérimenté. Elle a été finalement admise comme sœur laïcs au couvent du Sacré-Cœur de Paris, rue de Varennes, qu'elle rejoint le 15 mai 1844 en qualité de sœur coadjutrice.
Quelques vingt jours après, elle rejoint, le noviciat de Conflans où elle prit l'habit religieux le 27 décembre. Là, la supérieure confiait craindre d'avoir à diriger une personne conduite par des voies extraordinaires, où souvent l'illusion se mêlait à la réalité. Pourtant le reflet de sainteté qui semblait l'entourer lui attira la vénération de ses nouvelles sœurs, et par la suite ne laissa auprès des autres sœurs que de profonds souvenirs de respect et d'admiration. 

Sa santé s'altéra notablement et, en mai 1846, dans l'espoir qu'un changement d'air remédie à son affaiblissement général, elle fut envoyée à Rennes où quelques dames du Sacré-Cœur allaient fonder une petite maison dans leur propriété de Begasson. Dans l'espoir d'une amélioration de sa santé, ses vœux avaient été reportés. Mais le dimanche 19 mai, elle fut soudainement devenue si malade que la fin semblait proche. On l'autorisa donc à prononcer ses vœux.


Elle décéda le lendemain 10 mai 1847, à l'âge de vingt-cinq ans.

L’emplacement de sa sépulture oublié et vainement recherché pendant plusieurs années, ce n’est qu’en 1879 qu’on découvrit et exhuma les ossements qu’on lui attribua. Depuis l'expulsion et l'expropriation des congrégations religieuses de France en 1904, ses restes reposent désormais dans la Sacred Heart Chapel de Roehampton, près de Londres.






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