RESINIERS, PAS REGIGNES


1907 


" Les résiniers sont des hommes sauvages qui semblent tenir de la nature des grands bois au fond desquels ils passent toute leur existence . Le résinier se fait remarquer par ses membres grêles, ses joues pâles et creuses, son regard fixe, son silence obstiné, la sauvagerie de ses moeurs, sa rigide économie; il est sombre comme si le mystère de la forêt pesait toujours sur lui "
(Elisée Reclus dans la Revue des Deux Mondes du 1er aout 1863).

MAIS

Alors que dans la Grande Lande le prix de la récolte était désormais partagé pour moitié entre le propriétaire et le résinier, le résinier du Marensin était à la fois métayer pour la partie agricole  et véritable salarié pour la partie gemmage. La somme qu'il percevait n'était ainsi pas fixée en fonction de la quantité de gemme récoltée ni du cours de celle-ci.
Il se sentit ainsi exclu  des bénéfices et de  la spéculation sur le prix de la résine  qui s'étai envolé depuis le début du XXe siècle. Ayant accumulé des années de mécontentement et de rancoeur, n’ayant  droit qu’à une rémunération  toujours  stable alors que les propriétaires faisaient fortune, son sentiment d’injustice se doubla d’une impression de spoliation.

Les résiniers des pays du Marensin et du Born finirent par sortir de leur isolement. 
La mobilisation de ces exploités porta  ici ou là, à plusieurs reprises, sur le partage inique du prix de leurs récoltes et de leur travail, ainsi que sur les conditions du métayage qui les liaient aux propriétaires.
Déjà, en avril  1863, une véritable  émeute  avait rassemblé une foule  à Sabres , provoquant  l'envoi d'un piquet de 25 voltigeurs du 1er régiment de ligne pour venir en aide à la gendarmerie. Plusieurs gemmeurs avaient été  arrêtés. Une tentative des émeutiers pour les délivrer avait amené la gendarmerie à cheval  et baïonnette au fusil, à dissiper l'attroupement par la force en quelques charges à petit galop.

Finalement, un premier syndicat fut créé a Lit et Mixe en décembre 1905; d'autres suivirent à Soustons et Sainte Eulalie en Born, puis dans tout le Marensin au cours de l'année 1906. C'est ainsi qu'une trentaine de syndicats communaux regroupant essentiellement des métayers, quelques petits propriétaires, ainsi que des  gemmeurs employés dans les forêts domaniales,  parvinrent  enfin à se fédérer.

Des premières grandes grèves tournantes eurent lieu , entre mars et juin  1906, à Lit-et-Mixe,  Ste Eulalie en Born, Linxe, Lesperon, Moliets-et-Maa. Le mouvement s'étendit à Capbreton, Castets, Lévignacq, Mézos, Mimizan, Seignosse, Soorts et Soustons.

La plus importante manifestation fut  celle de Lesperon en juin contre les propriétaires du village qui voulaient augmenter les fermages et menaçaient de vendre leurs pins si les ouvriers métayers formulaient des revendications exagérées. L'intervention de la gendarmerie de Morcenx fut nécessaire.

Lesperon le 9 mars 1906


La grève générale fut d'abord décrétée à  Sainte-Eulalie-en-Born contre les adjudicataires des forêts domaniales , et le mouvement s'étendit à Gastes, Lit-et-Mixe , Saint Julien-en-Born et Mimizan . Les "pinhadars" furent désertés par les gemmeurs qui investirent les rues des bourgs en rassemblements de masse. On défila chaque jour, on manifesta, on bloqua les routes, puis le conflit devint plus violent . On passa des défilés et chants aux insultes puis aux bousculades et aux arrestations  Il y eut quelques exactions  ou tentatives de sabotage, des bris de milliers de pots de résine, des arrachages de crampons,  des arbres coupés, des voitures transportant le résine renversées, voire incendie chez quelque propriétaire ... et sans doute  quelques règlements de comptes.



A Sainte Eulalie en Born un guet-apens fut tendu aux gendarmes, un lieutenant  fut agressé, un meneur arrêté et condamné à la prison pour rébellion et violences envers les forces de l'ordre.
 Les communes de Mimizan et Gastes, ainsi que Vielle-Saint-Girons et Laluque s'associèrent  au mouvement qui s'étendit  jusqu'à Rion-des-Landes. A Beylongue,  une grève d'un mois se transforma en véritable révolte.

Lit-et-Mixe - arrivée du défilé des manifestants


Survinrent ensuite, ici ou là,  quelques échauffourées, puis  de véritables affrontements avec la gendarmerie. Les propriétaires furent  menacés de mort et retenus prisonniers chez eux. A Mimizan on cerna la maison du maire. La gendarmerie ayant réclamé les renforts,  trois brigades y furent envoyées.  A  Lit et Mixe,  plusieurs propriétaires furent assiégés dans leur maison et séquestrés pendant la nuit, leur récoltes sur pied détruites, leur lignes télégraphiques ou téléphoniques coupées. Plusieurs paysans furent interpelés au cours de ces manifestations mouvementées et condamnés pour  " violences envers la gendarmerie" .
Le jeune Ernest Ducamin, principal meneur de la première heure, arrêté le 29 mars 1907,  fut amené à pied et enchainé  jusqu'à la gare de Linxe pour son transfert à la prison de Dax.  Lui et quelques comparses furent ainsi escortés par vingt gendarmes à cheval et trois sections d'infanterie.
Les évènements justifièrent en effet  l'envoi, par le train, d'un détachement d'une centaine d'hommes du 34e régiment d'infanterie de Mont-de-Marsan.

Arrivée des troupes

On dit que Ducamin, une fois libéré, profita de son autorité sur le mouvement   pour aider l'administration et les propriétaires à briser la grève en faisant voter la reprise du travail.

Et même si après ce conflit les salaires furent augmentés,  la situation des ouvriers résiniers resta très difficile. Ce ne furent donc pas les dernières grèves. Le 18 mars 1934, une grande manifestation réunit la quasi-totalité des gemmeurs des Landes, de la Gironde et du Lot-et-Garonne, plus de 15 000, à Mont-de-Marsan. En 1937 une grève générale dura près d'un mois.


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