Le
métayage était le mode de faire-valoir agricole le plus répandu dans tout le
Sud-Ouest, et la Chalosse landaise en fut la terre de prédilection. Ce système
traditionnel y a régi pendant des siècles les rapports entre les propriétaires
terriens et leurs exploitants sous la forme d’un bail le plus souvent verbal.
Le principe : Le maître possède un domaine qu'il ne veut pas travailler, mais non plus abandonner à un fermier contre redevance. Il veut en garder la maîtrise, la direction de l'exploitation (mode de culture, achat et vente des bestiaux) et la surveillance des travaux. Il confie alors l'exploitation à un travailleur de bonne volonté et aussi docile, le métayer. Celui-ci n'a que ses bras et ceux de sa famille pour accomplir les travaux conformes à la tradition locale. Pour le rémunérer, il lui laisse par convention verbale une portion en nature des fruits et récoltes de l'exploitation, habituellement la moitié ( Métayage étant un dérivé de l'ancien français moitoiage, partager, diviser par moitié).
Ce système du métayage a maintenu jusqu'en 1946, particulièrement en Chalosse, la majorité des paysans sans terre sous la dépendance des propriétaires. Sous la domination du maître, "lou meste", le métayer travaillait la terre à condition d'en partager les récoltes avec le propriétaire.
D'origine lointaine qu'on peut faire remonter au régime du colonat des grands domaines romains en Gaule, puis présent dès le XIIIe siècle et le régime féodal, il s'est généralisé ici au cours du XVIIIe siècle. Mais jusqu'à la fin de l'Ancien Régime, la propriété foncière se divisait encore en grands domaines composés d'un grand nombre de métairies. Ainsi, en 1781, les domaines du marquis de Poyanne comptaient quatre-vingt-quatorze métairies réparties sur un millier d'hectares de terres labourables et vignes.
Ce même système survécut à la Révolution, qui pourtant avait aboli les privilèges, avec le démembrement des réserves seigneuriales et l'émergence d'une caste de notables et bourgeois ruraux. Cette résurgence féodale a pu ainsi prospérer dans les Landes alors qu’elle reculait partout ailleurs. Même, le métayage y prospéra à la fin du XIXe siècle, et jusque dans l’immédiat après première guerre mondiale.
Une enquête publiée
en 1873 dénombrait dans le département des Landes 37304 exploitations dont 27 384 travaillées
par des métayers contre seulement 3580 par des fermiers, constituant alors la
plus forte proportion de France
En 1850 les domaines de Joseph Alexandre
de Laborde-Lasalle comptaient 24 métairies autour de Saint-Sever. En 1882, les
577 hectares du domaine du comte de Galard à Captans, près de Saint-Sever,
étaient exploités par 35 métairies. A Biaudos, les 317 hectares exploités du
domaine de M. Basterreche comptaient 17 métairies, le propriétaire exploitant
lui-même 27 hectares. De même à Pouillon, M. Lassègue, exploitant lui-même une
parcelle de son domaine de 65 hectares de terres arables, vignes ou prairies (plus
19 ha de bois et landes) qui comprenait 8 métairies d’une contenance de 8
hectares.
Le métayage était la
réalité quotidienne de milliers de Chalossais. Il faut se représenter, dans un paysage de coteaux, bois
de chênes, haies vives et chemins creux, un « quartier » regroupant
la maison du maitre et les métairies de pierre ou torchis lui appartenant, éparpillées
au milieu des petites parcelles exploitées par les métayers et leurs familles.
Plusieurs générations y vivaient alors sous le même toit, au rythme des partages de récolte,
des redevances, des corvées, de l’insécurité liée à la situation, et finalement
la soumission au "meste".
Mais, jusqu’à ce qu’elles soient codifiées par la loi en 1889, les clauses des contrats relatives aux droits et devoirs respectifs étaient très diverses et relevaient des coutumes locales variant souvent d’un village à l’autre.
Le
partage des récoltes constituait la base de ce mode de faire-valoir. Par
contrat, le métayer devait
remettre au propriétaire une partie de la récolte. Mais ce prélèvement était
variable selon la région et la culture, mais généralement des 2/5èmes (le cinquet) du maïs, ou le 1/3 des
céréales (blé, seigle, froment, avoine, millet, panis …) ou des haricots,
pommes de terre, lin, tabac. Le propriétaire recevait également la moitié du
produit des vignes (vin) ou de la vente de bétail. Il semble que les
produits du « casau », le potager, aient pu ne pas être partagés, même si existait un
droit de jardin du quart du produit.
Il existait aussi les redevances tenant lieu de loyer, lesquelles variaient suivant l’importance de la propriété, mais étaient spécifiées en détail. Elles consistant généralement en la fourniture d’un quota annuel de volaille (comme le tiers des oies, de 3 à 6 paires de poulets, échelonnées aux diverses fêtes de l’année, 1 ou 2 paires de chapons ou poulardes au premier de l’An) et un certain nombre de douzaines d’œufs à date fixe, de fruits, ou la confection de 4 balais en sorgho…Certains propriétaires recevaient un jambon de porc gras, d’autres un quart du cochon, d’autres encore ...la langue et les pieds ! Parfois, le « meste » fournissait un cochon maigre que le métayer nourrissait et engraissait en le partageant ensuite par moitié.
Enfin, les corvées consistaient
en plusieurs journées avec attelage, et travaux gratuits dus au domicile du propriétaire
par le métayer ou sa famille.
Ce statut ancien a ainsi gardé les métayers dans une situation précaire, qui se traduisait bien souvent par des conditions de vie difficiles, une mise en valeur des terres archaïque et non mécanisée.
Une loi du 18 juillet 1889 sur le statut du métayage le définit comme un « contrat par lequel le possesseur d’un héritage rural le remet pour un certain temps à un preneur qui s’engage à le cultiver sous condition d’en partager les produits avec le bailleur », tout en consacrant les usages coutumiers anciens
Economiquement,
on reprocha au système archaïque du métayage l’absence de toute idée
d’amélioration et de progrès. Le métayer lié par les usages du passé restait
enfermé dans la vieille routine traditionnelle, tandis que le propriétaire ne
voyait dans sa terre qu’un placement immobilier, un capital dont les produits
perçus constituait les intérêts.
Mais bien plus, et principalement, au point de vue
social : l’injustice et l’inégalité. Le métayer,
n’était plus qu’un domestique dépendant, un véritable serf, ne recevant que ce
qui lui était indispensable pour vivre ; comme une survivance de la
féodalité avec des devoirs d’hommages devenus roturiers. Et
comme généralement
le propriétaire était présent sur ses terres, les rapports personnels de type
paternaliste et clientéliste induisaient pour le métayer des liens de dépendance
personnelle.
La terre devrait appartenir à ceux qui la travaillent.
Une ordonnance du 17 octobre 1945 instaura
la possibilité de conversion du métayage en fermage à la demande d’une des
parties. Puis, le même jour que celle de Marthe Richard abolissant les maisons
closes, une loi du 13 avril 1946 sur le statut du fermage et du métayage rééquilibra
les rapports entre propriétaires et exploitants en instaurant le partage des
deux tiers contre un tiers au propriétaire et la suppression des redevances et
corvées. Mais surtout, elle le droit à la conversion du métayage en fermage et
le droit de préemption.
A cette époque, le métayage s’étendait
encore sur 74% de la surface agricole utile du département et les trois-quarts
des agriculteurs landais étaient des métayers.
L’abandon
définitif de ce système se heurta bien sûr, en particulier en Chalosse, aux résistances
des propriétaires bailleurs tentant d’en retarder les effets, refusant la
conversion en souhaitant exercer leur droit de reprise des terres pour
congédier les métayers récalcitrants à l’occasion du renouvellement des baux.
Mais finalement, par des facilités
d’accession à la propriété, la plupart des métayers sont devenus
progressivement fermiers exploitants à leur compte.