Conte de François Rabelais,
figurant dans le chapitre XLII du
« Tiers livre des faicts et dicts
héroiques du bon Pantagruel »
paru
en 1546.
Petit hommage satirique au
caractère gascon d’un soldat de Saint-Sever du corps expéditionnaire envoyé par
François 1er pour soutenir le roi de Danemark dans sa guerre contre
les suédois ; et sans doute dans la compagnie du capitaine Arnaud de Pardaillan
seigneur de Gondrin,.gascon lui aussi. L’action est placée lors du siège de Stockhom en 1518.
(En gascon landais : Tête-bœuf,
mes petits, que le mal du tonneau vous roule a terre ! Maintenant que j ai perdu mes vingt-quatre
vachettes, je n’en donnerai que mieux coups de griffes, coups de poing et
taloches ; y a-t-il quelqu’un de vous autres qui veuille se battre avec
moi de franc jeu ?)
Ne respondant personne, il passe
au camp des Hondrespondres (ceux qui
pèsent cent livres, en anglais), et reiteroit ces mesmes paroles, les
invitant à combattre avec luy. Mais les susdits disoient :
« Der guascongner thut sich ausz mit eim ieden zu schlagen, aber
er ist geneigter zu stehlen ; darumb, liche frauwen, habe sorg zu euerm
hauszraht »
(En vieil allemand : Ce gascon
se flatte de se battre avec n’importe qui, mais il est plus enclin à dérober : ainsi donc, bonnes femmes, prenez garde à votre ménage)
Et ne s’offrit au combat personne
de leur ligue. Pourtant passe le Gascon au camp des adventuriers françois,
disant ce que dessus, et les invitant au combat gaillardement, avec petites
gambades gasconicques. Mais personne ne lut respondit. Lors le gascon au bout du camp se
coucha, près les tentes du gros Christian chevalier de Crissé et s’endormit.
Sus l’heure un adventurier, ayant pareillement perdu tout son argent, sortit
avec son espée, en ferme deliberation de combattre avec le Gascon, veu qu’il
avoit perdu comme luy. De fait, l’ayant cherché parmy le camp, finalement le trouva
endormy. Adonc luy dist :
« Sus ho, Hillot de tous les
diables, leve-toi : j’ay perdu mon argent aussy bien que toy. Allons nous
battre gaillard, et bien à point frotter nostre lard. Advise que mon verdun ne
soit point plus long que ton espade »
Le gascon tout esblouy, luy
respondit :
« Cap de Sainct-Arnaud, quau seys tu,
qui me rebeilles ? Que mau de taouerne te gyre ? Ho San Siobé, cap de
Guascoigne, ta pla dormie iou, quoand aquest taquain me bingut estéhé »
(Tête de saint Arnaud, qui es tu toi qui me réveilles ? Que le mal
de cabaret te retourne ! Ho, Saint-Sever ,cap la Gascogne, je dormais si
bien quand ce taquin est venu me réveiller)
L’advanturier l’invitoit de
rechef au combat ; mais le gascon luy dist :
« He pauvret, iou te esquinerie ares que son pla repausat. Vayne
un paucquet repausat come iou, puche se truqueren »
(Hé ! malheureux ! je t’éreinterait maintenant que je suis
bien reposé. Va t’en un peu dormir comme moi ; après cela nous nous
battrons).
Avec l’oubliance de sa perte il
avoit perdu l’envie de combattre. Somme, en lieu de se battre et soy par adventure
entretuez, ilz allerent boire ensemble, chascun sus son épée. Le sommeil avoit
fait ce bien, et pacifié la flagrante fureur des deux bons champions.
(1)Sans doute Gassie Arnaud
A lire : Le soldat de
Saint-Sever - étude linguistique de Léonce Couture, dans la Revue de Gascogne - Nouvelle
série, Tome II - janvier 1902.