LE CONTEXTE
Nous
sommes à peine trois mois après le mariage du jeune Louis XIII avec l’infante
d’Espagne Anne d’Autriche à Bordeaux, mais dans un contexte de guerre civile.
Jacques-Nompar
de Caumont marquis de La
Force, gouverneur et lieutenant général du Béarn et de Navarre qui fait cause
commune avec les rebelles protestants et le parti du prince de Condé opposé à
la régente Marie de Médicis et son favori Concini, rassemble des troupes et envoie
dans les premiers jours de 1616 un de ses lieutenants, le baron Jesbahin de Vallier
s’emparer de la ville épiscopale d’Aire d’où il rayonne pour imposer au pays
d’alentour de lourdes impositions.
En mars, malgré la publication d’une trêve et suspension
d’armes, et une conférence de paix réunie à Loudun, le baron Bernard de Poyanne,
gouverneur de Dax et sénéchal des Lannes dont Aire dépend, et le comte Antoine
de Gramont gouverneur de Bayonne, marchent contre Vallier qui se replie sur le
Béarn. La garnison huguenote laissée à Aire est alors assiégée pendant quinze
jours. (1)
Aussi, La Force et ses troupes accourent à l’effet de faire
lever le siège. Il y réussit presque. Cependant Gramont et Poyanne ayant reçu
des renforts l’obligent à se retirer après un combat opiniâtre lui infligeant
des pertes importantes. Enfin, la garnison, bien que renforcée mais dépourvue
de vivres, est finalement contrainte de se rendre.
Vue de la ville d'Aire en 1706 ( source BNF Gallica)
LE RECIT.
Voici la relation, pas tout à fait objective, d’un témoin
manifestement du parti de Gramont, transcrit par Jean-Baptiste Larcher dans son
manuscrit intitulé Glanages ou preuves, en 1751 (Tome XXII page 53 à 60).
Le sieur de Poyanne sachant Valier dans son gouvernement pour
en retirer par force les contributions qu’il y avait imposées, et voyant que
Valier avait ramassé environ 300 chevaux avec lesquels il faisait de grands
ravages dans le pays, eut recours à Mr le comte de Gramont, le suppliant de
l’assister pour empêcher ces désordres, et pour garantir ledit pays de cette
prochaine ruine. Mr. Le comte de Gramont convié de rendre ce devoir au service
du Roi, à son ami, et au repos de sa patrie, la liberté de laquelle ne se
pouvait espérer que de sa main, partit tout aussitôt de Bayonne avec peu de
forces que la presse du Sr de Poyanne et
l’impatience que ledit Sr comte avait
d’en venir aux mains, lui permirent de mettre sur pied ayant su que les ennemis
étaient à La Hontan (2), il s’en va droit à eux s’étant joint à lui le Sr de Poyanne
.
Bernard de Poyanne
Mais les ennemis avertis de ce dessein délogèrent en désordre
et firent voir que leurs éperons étaient meilleurs que leurs épées, mais ils ne
s’en allèrent pas sitôt, qu’il n’en demeurait quatre ou cinq des leurs sur le
carreau. Le reste se sauva avant dans le Béarn. Mr de Gramont se voyant dans la
gêne, ne voulut pas entrer en armes dans le Béarn, mais s’arrêta quatre ou cinq
jours sur la frontière, côtoyant toujours Valier en espérance de le combattre
avant qu’il pût gagner Aire. Mais voyant qu’il ne sortait point de Béarn, se résolut
d’aller droit à sa tanière pour dénicher ceux qu’il y avait laissé, et de fait,
en plein jour, sa compagnie de gens d’armes et celle de ses carabins, ensemble
les carabins de M. de Poyanne se saisirent de la ville d’Aire et refermèrent
les ennemis dans le fort.
L’infanterie de Mr de Grammont arrivée, les barricades furent
faites autour de la ville qui n’est pas fermée de murailles, et autour du fort,
de si près que les ennemis n’osaient de jour se présenter dans leurs guérites,
car nos mousquetaires étaient si ajustés que de trois coups de mousquet qu’ils
tiraient ils ne manquaient pas de mettre les deux dans la canonnière par où les
ennemis tiraient, et de l’autre ils faisaient des trous dans les guérites à
passer le poing. Les assiégeants tirant incessamment, faisaient que les assiégés
ne tiraient que fort peu, n’étant pas assurés dans leurs défenses. On fit aussi
une barricade sur la croupe de ce coteau qui s’aboutit entre Aire et le Mas,
d’où on molestait ceux du fort étant commandés de cette barricade.
Antoine de Gramont
Dès la première nuit du siège, le fort fut secouru de 35 soldats
choisis qui se jetèrent dedans à cause que les gens de pied de Mr. Le comte de Gramont
n’étaient pas arrivés, et que tout ce que sa cavalerie pouvait faire c’était de
garder le dedans de la ville et de tenir le fort bouclé, lequel ayant de bonnes
défenses avancées jusqu’au bord du fossé de la ville, reçut sans difficultés ce
secours commandé par le capitaine Latapye qui fut tué le lendemain par les nôtres
d’une mousquetade dans le fort même.
Dans sept jours, le Sr de La Force accompagné de 5 000 hommes
de pied et de 5 ou 600 chevaux parut sur le coteau qui est entre Aire et le Mas
avec deux pièces de campagne, ne se promettant pas seulement de secourir le
fort, mais s’assurant infailliblement d’enlever la ville et de tailler en pièces
tout ce qui se trouverait, ayant déjà choisi ceux qu’il avait destiné pour la
garnison extraordinaire d’Aire, et ayant fait aux Béarnais un don irrévocable
des dépouilles de Mr de Gramont. Mais il devait considérer qu’on ne doit pas
vendre ni donner la peau de l’ours jusqu’à ce qu’on l’ait pris. Ces troupes appâtées
par l’annonce de ce butin, et pipées en la créance de la victoire qu’on leur
avait figuré infaillible et sans résistance, vinrent en premier lieu attaquer
la barricade qui était sur la croupe du coteau entre Aire et le Mas, laquelle
avait été ruinée par les nôtres pour la plus grande partie, ne nous étant pas
utile ce jour-là parce qu’elle était fort commandée du côté d’où venaient les
ennemis et qu’on la figurait … à conserver la ville. Néanmoins, elle fut si valeureusement
défendue qu’on la reprit deux fois sur les ennemis puis on la leur laissa
libre, leur ayant tué environ huit vingt hommes et on y ait aussi perdu deux
des nôtres, l’un desquels étaient le Sr de St Joanet (?) qui venait de chasser
les ennemis bien loin au-delà de la barrière.
La Force
Mr de La Force savait que Mr de Gramont n’avait dans la ville
pour le plus que 500 hommes de pied, sa compagnie de gens d’armes et celle de
ses gardes, car le Sr de Poyanne était destiné pour garder le Mas avec sa
cavalerie pouvant rendre combat à cheval quasi partout ce bourg, et son
infanterie était ordonnée pour garder la tête de ce bourg qui regarde le Béarn.
Voilà pourquoi Mr de La Force, en même temps qu’on combattait à la barricade du
coteau, fit donner 1 800 hommes de pied le long de la rivière du coté de S
… ( ?) , droit au fort et à la ville.
Cet assaut prévu par Mr de Gramont, voyant que d’autres
troupes suivaient celles-là pour faire un plus grand effort, et voyant que son
infanterie pourrait être faible pour soutenir ce choc, se résolut de se jeter
dans une barricade la pique à la main avec une brigade de ses gendarmes, ayant
départi à chacun des membres de ladite compagnie une brigade pareille a la
sienne pour fortifier les autres barricades que les ennemis semblaient vouloir
attaquer si vigoureusement. Il savait bien que la victoire ne dépendait pas du
nombre des soldats mais bien du courage des combattants et de la valeur et
bonne conduite de leurs capitaines.
Les 1 800 hommes de pied susdits vinrent le grand trot
et en bel ordre jusqu’à ce qu’ils fussent dans les jardins d’Aire qui joignent
le fossé. Ces jardins n’étaient environnés que de petites haies, et comme les plus
hâtés commençaient d’aborder le fossé, Mr de Gramont fit faire une saillie par
quelques capitaines de ses gens de pied et par quelque uns desdits gendarmes
qui se jetèrent dans le fossé de ladite ville et passèrent de l’autre côté pour
recevoir les ennemis et en cet accueil leur faire voir leur honte et leur défaite.
Mr de Poyanne, qui était au Mas, voyant qu’il n’avait où
s’exercer, et qu’ils donnaient droit à Aire, s’en vint et se porta si généreusement
qu’il rendit des preuves de sa valeur bien remarquable. Son cheval lui fut tué
de 4 à 5 coups de pique et d’arquebusade, mais il rapporta son maitre hors du
combat où tous les nôtres firent si bien que les ennemis se voyant si
furieusement attaqués et repoussés s’enfuirent à sauve qui peut. S’ils étaient
venus grand trot, ils s’en retournèrent à toute bride, et s’ils étaient venus
en bel ordre pour nous attaquer, ils furent en effet chassés en grand désordre
jusqu’à leur gros qui était au-delà du canal du moulin, lequel notre cavalerie ne
put jamais passer.
Ce fut lors que les jardiniers d’Aire, pour garantir leurs
jardins de cette vermine qui s’y était fourrée, desquels ils firent de grands
et beaux parterres dont les carrés furent en abondance arrosés du sang de ces
vaincus. Alors se jetèrent dans la fosse près de 400 hommes ne se pouvant
sauver ailleurs, et passèrent le fossé en eau jusqu’au-dessous des aisselles,
ils perdirent 200 hommes
Nous en y
perdîmes un, et quelque uns de blessés toutefois sans danger.
Les jardins de l'évêché en 1706 (source BNF Gallica)
Il était bien raisonnable que Mr de Gramont ayant tant de
pouvoir sur la mer comme il a, et se trouvant en ces temps sur le bord de cette
rivière, rendit quelque sacrifice à Neptune. Aussi, lui fit il sacrifier le Sr
d’Espalungue avec une cinquantaine de ses compagnons dont les tombeaux furent
cachés dans les plis de ces ondes. Ceux-ci ne sont pas compris avec les autres
200 susnommés tués autour des jardins car ceux-ci sont dus à la mer et les
autres sont rendus à la terre.
La crainte, l’épouvante et l‘effroi de la mort saisit de
telle façon le courage des ennemis, que leur armée nous tourna les épaules en
plein jour et se retira en ordre pour la plupart. Leur retraite se fit entre 4
ou 5 heures après midi, les escarmouches ayant duré deux heures et demi. Ils se
retirèrent à Sarron, près de St Agnet, où il se tinrent tout le lendemain,
bien barricadés et toujours en alarme.
Ce jour-là, Mr de Gramont fit résoudre Mr de Gondrin de
l’assister avec quelques troupes de cavalerie pour se jeter le lendemain aux
trousses de Mr de La Force, comme il fit. Mais à cause des avis que ce dernier
reçut cette nuit-là, et parce que ceux de Mr de Gondrin se firent attendre et
ne se trouvèrent à l’heure assignée au rendez-vous qu’ils avaient pris sans
venir …, Mr de Gramont et les autres troupes de cavalerie qui … (paragraphe surchargé illisible page 59)
… Mr de Gramont le poursuivant fit rencontre de deux ou trois compagnies qui
furent taillés en pièce à B …. (?), entre autres celle du Sr de … ( ?) son
enseigne y fut tué et il y perdit ses armes, tout son équipage, et quasi tous
ses compagnons hors quelques-uns auxquels on donna la vie, s’étant rendus sur
le point de se voir brulés dans un logis où ils s’étaient réfugiés. Il s’en fut
jusque dans Pau avec Mr de La Force qui y fit faire soudain force barricades,
se croyant perdu.
Le lendemain, ceux du fort d’Aire firent leur capitulation et
se rendirent et sortirent d’Aire le jour suivant en nombre de 462 hommes de
guerre sans compter les blessés ; et il n’y eut jamais dans Aire autres
gens de guerre que ceux de Mr de Gramont ci-dessus nombrés, sans que ceux de
dedans le fort fissent jamais une sortie, bien qu’on leur eût mis des
barricades de tous côtés à dix pas du fort.
On fait état qu’il y a pour le moins 800 de plus d’hommes
morts du côté des ennemis tant par le fer que l’eau et le feu, et quantité de
blessés et de leurs armes perdues pour armer plus de 1200 hommes. De notre côté
il y a, tant de ceux qu’on a tué du fort que dans ces combats, que 8 (!) de
morts et 20 blessés, pas un desquels n’est en danger de mort ni d’être
estropié. Mr de la Force joua des éperons à bon escient, se retira dans Pau ….
avec des terreurs et effrois non pareils.
Le reste de l’infanterie de Mr de Gramont du nombre de
2 000 hommes commandée par M. le vicomte d’Orthe avait été destinée pour la
conduite de deux canons que Mr de Gramont avait envoyé querir à Bayonne, et
ladite infanterie et canons étaient arrivés à Saint-Sever le jour avant la
capitulation des assiégés. Bien leur prit de hâter leur capitulation, car s’ils
eussent attendu deux jours, ils n’en fussent pas sortis à si bon compte.
Ce fut Mr de Gondrin (3) qui capitula avec eux. Sa troupe et
celles de Mrs de Gramont, de Basillac, de Poyanne, du Lau, baron de Marsan,
second fils de M. de Castelnau baron de Miramont, et de Maupas, faisaient
toutes ensemble plus de 1 800 chevaux auxquels il ne manquait
ni boucle ni ardillon, et l’infanterie, avec celle qui était avec le vicomte
d’Orthe, faisait près de 3 000 hommes.
Gosse ni Seignanx ni Labourd n’y étaient point, Mr de Gramont les ayant
laissés pour la conservation de Bayonne afin qu’on n’y pût rien entreprendre
durant son absence.
vue d'Aire en 1838 (source Gallica BNF)
NOTES
Cet épisode étant intervenu alors qu’une trêve avait
été décidée en février, le baron de Poyanne dut se justifier auprès des députés
du roi à l’assemblée de Loudun. Cette affaire était devenue dangereuse et de
nature à faire capoter les négociations de paix en cours. Le duc de Rohan
menaçait de se mettre en route, des renforts de 4 000 hommes de pied et
300 chevaux étaient assemblés par le baron de Boisse-Pardaillan, gouverneur
huguenot de la citadelle de Bourg, pour se joindre aux troupes de La Force, dans
la crainte que les combats se poursuivent dans le Béarn
Poyanne assura donc n’avoir rien entrepris sur le Béarn mais
simplement assuré la conservation de l’autorité du roi sur Aire (en assiégeant
la garnison de Vallier) et ainsi évité la ruine du pays, puis bien été
contraint de réagir et recourir à la force à la suite de l’intervention des
troupes de La Force (5000 hommes de pied, 600 chevaux, et
quelques pièces de campagne, selon Poyanne; 4000 hommes de pied et 500 chevaux
selon les jurats de Dax).
Une lettre des jurats de Dax au maréchal de Roquelaure, en date
du 18 mars 1616, apporte quelques précisions en indiquant que l’attaque des troupes de La Force est
intervenue le lundi 14 mars vers 14 heures, avec 4 000 hommes de pied et 500
cavaliers, et qu’après un furieux combat Poyanne accompagné de 40 gendarmes
rompit cette armée en tuant environs 200 hommes sur la place (300 selon Poyanne
lui-même !) et un grand nombre de blessés qui furent portés vers Pau le
lendemain sur quinze charrettes. La même lette précise que Poyanne, engagé dans
les tranchées de Gramont, en rechapa de justesse, son cheval tué par six coups
de mousquet, secouru à temps alors même que l’ennemi menaçait d’emporter la
barricade où il était.
Dans ce combat, Poyanne n’aurait perdu qu’un gendarme tué et
une dizaine de blessés (!). Gramont y aurait perdu « quelque nombre de
gens ».
Un traité de paix fut finalement signé à Loudun le 3 mai
entre Marie de Médicis et le prince de Condé, Aire remis aux officiers du Roi,
et les armées licenciées.
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(1)
Les
deux royalistes catholiques Gramont et Poyanne, voisins unis dans le combat, ne
sont pourtant pas des amis mais les acteurs de longues querelles d’honneur et
de préséance. Le premier était dit-on un batailleur d’un orgueil démesuré. Le
second était tout aussi fier, jaloux, et imbu de son autorité sur la
sénéchaussée des Lannes. La Force, le protestant, ancien compagnon fidèle
d’Henri IV, fut parfois désigné pour tenter de les concilier. Vallier, lui,
n’est autre que le propre beau-frère de Poyanne dont il a épousé la sœur.
(2)
Après
avoir pris les bastides de Hastingues et Sorde.
(3)
Antoine-Arnaud
de Pardaillan de Gondrin, lieutenant général au gouvernement de Guyenne,
sénéchal et gouverneur de l’Agenais et du Condomois, parvenu à Aire le 13 mars.
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