On le sait, Dax est une étape ancienne sur la route vers l'Espagne. Elle le fut aussi pour le jeune roi Louis XIV lorsqu'il se rendit sur la frontière pyrénéenne pour y rejoindre et épouser l'infante Marie Thérèse d'Autriche, fille aînée du roi d'Espagne Philippe IV, à Saint-Jean-de-Luz. (Ce mariage diplomatique étant de nature à sceller la paix conclue six mois auparavant entre les Bourbons français et les Habsbourg d'Espagne)
Ainsi donc, à l'annonce que le roi d'Espagne devait partir de Madrid au mois d'Avril pour amener l' infante sur la frontière, Louis XIV qui avait patienté tout l'hiver dans le Midi, quitta Aix en Provence le 16 mars pour rejoindre la Gascogne. Par Toulouse, Auch Nogaro, il parvint à Mont-de-Marsan puis Tartas où il coucha le 29 avril 1660 avant de rejoindre Dax.
Ce n’est pas encore le Louis XIV des images des livres d’école, celui du peintre Rigaud,
mais un jeune homme de vingt et un ans, celui de Le Brun, celui qui danse.
L’ARRIVÉE DU ROI
On peut imaginer l'effervescence en ce milieu d'après midi du vendredi 30 avril 1660 au moment de l'apparition, à l'entée du pont, de l'avant garde des chevaux légers, puis celle du carrosse royal tiré par six chevaux, entouré de la cavalcade des mousquetaires commandés par d'Artagnan. Suivait un important cortège des dames, grands seigneurs et gentilshommes, des gens de leurs maisons, courtisans secrétaires valets et commis, en une suite de litières, carrosses et voitures ou fourgons.
Tous les canons des terrasses du vieux château tirèrent leur salve, alors que la foule curieuse, maîtrisée par la milice, encombrait les rues décorées des abords de la porte Notre-Dame. .Le roi fut accueilli par le maire Joseph François de Borda, le syndic et les jurats.(où est donc le marquis de Poyanne, gouverneur du château et de la ville ?) Apres harangue et remise des clefs, le bon peuple massé sur le parcours acclama cette procession dans les petites rue étroites de la cité dont on peut supposer l intense activité.
Déjà, depuis quelques semaines des compagnies de chevaux légers et gendarmes hébergés à Oeyreleuy assuraient la sécurité, cependant que parvenaient de multiples convois de charrois les plus divers (meubles, vaisselles, gardes robes, matériel, tapisseries, provisions,... même le dais ayant servi au couronnement à Reims!) et la multitude des artisans du voyage, des valets de bouche ou d'habillement ... une véritable caravane.
Le 26 avril, le duc d'Epernon, gouverneur de la province, était venu veiller à ce que la ville soit prête à accueillir son Roi. Il y fut reçu par la bourgeoisie sous les armes, et au bruit de toute l'artillerie.
Enfin, le 29, le sieur de Saintot, le fourrier et maître de cérémonies de la maison du roi, vint réquisitionner le maximum de lits et marquer les logements pour la cour. Il faut savoir que la suite du Roi rassemblait plusieurs milliers de personnes et plusieurs centaines de cavaliers à loger et nourrir, du fourrage et grains à rassembler pour les animaux. La capacité de la petite ville étant insuffisante, on s‘éparpilla aux alentours (on retrouve même une compagnie de la garde du roi logée à Doazit le 1er mai). Toute la ville était sur pied, dans une cohue certaine, les logis particuliers et les beaux appartements réservés, les familles invitées à préparer lits et meubles, les auberges pleines. (on réglementa le prix des denrées pour éviter les abus),
Le cortège royal
Le Roi logea dans la maison du maire, M. de Borda, situé à l'angle de la rue Sainte Ursule et de la rue du Palais. C'est là que les chanoines du Chapitre, avec à leur tête le sieur de Maroy, allèrent lui rendre les devoirs et compliments, précédant les membres de la Cour présidiale dont son président Bertrand de Borda, et des autres corps de la ville. Le monarque y était entouré d'un un grand nombre de princes et seigneurs. (la cuisine du roi se trouvait alors chez M de Jossis, avocat, vis à vis la maison du maire, au 4 rue du Palais)
Le Chapitre se rendit ensuite en l'hôtel de Monsieur de Saint-Martin situé rue du Luc, au 27 rue Cazade actuel, dans lequel logeait la reine mère Anne d'Autriche, et où se trouvait alors le duc Philippe d'Orleans, Monsieur, frère cadet du roi. Celui-ci avait son logement chez M de Postis, le prévot, au 5 rue du Palais (hôtel Neurisse. aujourd'hui centre culturel et bibliothèque municipale). Cette demeure avait accueilli quelques jours avant (le 24) la princesse de Carignan, pour laquelle seule il fallut mobiliser cinquante lits pour ses valets. (La cuisine se faisait chez M Deslous, avocat.)
"Mademoiselle", Anne Marie Louise d'Orléans, duchesse de Montpensier, cousine du roi, logea rue des Carmes chez M de Larrey, avocat (au 43-45).
le Cardinal et "Mademoiselle"
Le cardinal Mazarin logeait dans la rue Large chez M de Saint-Cristau avocat ( au 8 ou 10 de l'actuelle rue des Fusilliers), la cuisine se faisant chez M. de Pedolis-Pillas joignant la maison de ville.
Pour les nombreux autres, ce fut certainement plus difficile et peu confortable.
l'hôtel de Neurisse
Tout ce beau monde partit dès le lendemain vers Bayonne par le chemin passant par Saint-Vincent-de-Tyrosse et Ondres. Mazarin, toujours souffrant de la goutte, opta pour la descente de l'Adour.
C’est alors qu’arriva Monseigneur Armand de Bourbon, prince de Conti, qui séjourna plus d'une semaine chez M. de Saint-Martin, à cause de "son incommodité" ( ?).Cette semaine fut une succession de passages de divers ambassadeurs européens rejoignant Saint-Jean-de-Luz pour assister aux cérémonies du mariage royal, et des derniers charrois lents de la noce.
le 7 juin 1660, première rencontre des deux époux
LE RETOUR DU COUPLE ROYAL
Avant le roi, le prince de Conti fut de retour de Saint-Jean-de-Luz dès le 11 juin en fin d'après midi, accueilli par six décharges de canon, avant de regagner la maison de M de Saint Martin comme à l'aller. Le 12, ce fut l'évêque de Langres. Le 15, les demoiselles de Valois qui logèrent au Sablar, puis, le 16, le duc d'Epernon reçu par huit charges de canon.
Le couple royal parvint à Dax dans la soirée du mercredi 16 et logea dans la demeure du maire. La nouvelle et jeune reine y reçu un accueil enthousiaste. Sur la grande porte de la ville, les dacquois malicieux avaient placé un grand tableau sur lequel était peint un dauphin sortant des eaux, accompagné de la devise "Utinam conceptus Aquis" qui peut être traduit en " Aux eaux conçu soit il ", étant entendu que Aquis, Acqs, est aussi le nom latin de la ville. Ce qui fit écrire à Daniel de Cosnac, aumônier de Monsieur, dans ses mémoires sur le jeunesse de Louis XIV :"Effectivement on a remarqué,autant qu'on peut le conjecturer, que monseigneur le dauphin a été conçu à Dax. De sorte que cette devise fut fort heureuse et fort applaudie". ( peu probable puisque le dauphin Louis est né en novembre 1661)
l'infante Marie-Thérèse, la nouvelle reine
La Cour poursuivit ensuite sa longue route vers Paris par Tartas et un court séjour à Mont de Marsan où les deux reines y visitèrent le couvent de Sainte-Claire
Comme sans doute beaucoup, M.Laborde Peboué, gentillomme chalossais de Doazit ne manqua pas l'occasion de se rendre à Tartas et de relater l'évènement dans son journal:
" Là où je fus exprès et présent, et j'eus l'honneur moi-même de boir le Roy, et la Reyne sa femme, et aussi la Reyne sa mère, et M. le frère du Roy et toute la cour de France et tous En Ma Présence (!!). Et il conclut: " je ne désire plus sinon beoir le roy des roys au ciel"
Louis XIV, sa mère Anne d'Autriche, et son frère le duc d'Anjou
Le même raconte que le sieur de Lataulade quitta son château chalossais le 15 juin pour se rendre à Mont de Marsan en carrosse tiré par des boeufs ( il était trop gros pour monter à cheval) ." Mais il est homme si puissant et en la bonne grâce du Roy, qu'il entroit dans la chambre où le Roy estoit lougé audit Mont-de-Marsan, à toute heure que bon lui sembloit,. tellement que l'on peut dire que M. de Lataulade est un grand grand gentilhomme et en grand estime.".
A Dax, l'arrivée, le soir du 18 juin, du comte de Fuensaldana, nouvel ambassadeur d'Espagne chargé de la dot, accompagné d'une suite de deux cents domestiques et d'un convoi de trois cents mulets, puis son départ le lendemain, constituèrent la fin des festivités et le retour au calme de la petite cité.
Outre les grands souvenirs laissés par cette visite royale, il serai intéressant de connaître le détail de l'état des dépenses faites par la ville à cette occasion.
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Les mémoires de la Grande Mademoiselle, duchesse de Montpensier, livrent deux anecdotes de son passage dans les Landes
La Cour étant trop nombreuse pour les capacités d’accueil, de grands personnages étaient souvent obligés de se disperser dans tous les villages voisins. Ainsi, le 20 juin alors que le roi couchait à Captieux, Mademoiselle de Montpensier, une des plus grandes fortunes de l'époque, se vit contrainte de loger à Saint Justin. Elle raconte:
« Je me trouvai dans une vieille maison qui tomboit; même le plancher de ma chambre avoit un grand trou; je fis mettre des planches pour ne le pas voir, et je me couchai aussi tranquillement et dormis de même qui si c'eût été une belle et bonne maison. Mon lit étoit près de la porte, ma chambre étant petite, et celui de mes femmes étoit à l'autre bout. J'entendis un fort grand bruit et à même temps heurter à ma porte, comme si la maison eût tombé; ce bouleversement et ce bruit tout ensemble m'éveilla, j'ouvris la porte, et mon chirurgien qui y étoit me cria: « Sauvez-vous! la maison tombe. Je sortis sans songer en l'état où j'étois, sautant les degrés et lui me menant à moitié endormie. Comme je fus dans la cour, je regardai; je vis que rien ne tomboit; je demandai ce que c'étoit; on me répondit que la terre trembloit. Comme les tremblements de terre sont fort communs en ce pays-là, personne n'étoit étonné; mais mon chirurgien, qui venoit pour saigner une de mes femmes, sentant la maison [trembler], m'éveilla sans songer au tremblement de terre; et sans cela je ne l'aurois pas peut-être entendu.Comme je sus donc ce que c'étoit, je me trouvai toute nue en chemise. Il y avoit un muletier qui prenoit les couvertures de ses mulets pour les recharger; j'en pris une que je mis sur moi, en attendant que l'on m'eût apporté mes hardes. Je m'habillai, fus à la messe et continuai mon chemin sans la cour. Je fus depuis six heures du matin à neuf du soir, en chemin par un chaud et une poudre qui passent toute imagination. Le lendemain (car la cour arriva le même jour que moi au gîte à Bazas), on ne parla d'autre chose que du tremblement de terre. Le roi dit que la sentinelle, qui étoit devant ses fenêtres, avoit crié aux armes; qu'il avoit été à la fenêtre; qu'ayant demandé ce que c'étoit, on [le] lui avoit dit qu'il s'étoit recouché ».
Saint-Justin - maison dite de la Grande Mademoiselle
où aurait logé la duchesse de Montpensier
Pour ajouter au piquant de cette traversée des Landes elle évoque un autre épisode extraordinaire survenu à Mont-de-Marsan:
« L'on dit au roi, à Mont-de-Marsan, où il séjourna, que l'on avoit trouvé au \milieu des champs une femme à moitié enterrée, percée de mille coups, le visage défiguré, avec une chemise de belle toile, des rubans qui la nouoient aux manchettes, de manière à faire croire que c'étoit une personne de condition; que les vers étoient déjà dans ses plaies; que pourtant elle n'étoit pas morte; que l'on l'avoit apportée à l'hôpital; qu'après l'avoir pansée, nettoyée et lui avoir fait prendre du vin, elle avoit commencé à dire quelques mots; et la justice vint pour l'interroger. Comme elle vouloit répondre, elle perdit la parole, et il y avoit trois jours qu'elle étoit dans cet état. Le roi ordonna qu'on fît faire de grandes perquisitions, et je dis au roi: « peut-être que Dieu permettra que voyant Votre Majesté la parole lui reviendra pour lui demander justice, et qu'il ne permettra pas qu'un si horrible crime demeure impuni. » Le roi l'envoya querir; on l'apporta à la porte de l'église, où le roi alla à la messe. Je n'ai jamais rien vu de si effroyable qu'étoit son visage, ses pieds et ses mains; elles les joignoit en regardant le roi, comme le priant; mais elle ne sut parler. On n'en a rien ouï dire depuis ».( qui connait la suite ? )
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Rappelons que l’ année précédente, le Cardinal Mazarin était déjà passé deux fois à Dax
La première fois ce fut en juillet 1659, en route pour négocier de la paix (le fameux traité de Pyrénées), et de l'organisation du cérémonial du mariage. Après avoir évité Bordeaux (souvenir de la Fronde) et passé par Cadillac chez le duc d’Eperrnon, Mazarin prit la route des Petites Landes par Bazas (17 juillet), Roquefort (18 juillet), Mont-de-Marsan (19 juillet), puis Tartas (20 juillet), pour arriver à Dax le 21 juillet à onze heures du matin.
Mais il n'arrivait pas seul, puisqu'il était accompagné du duc de Créqui, du maréchal de Villeroy, du maréchal de Clairambault, de Monsieur de Lionne, et de plusieurs archevêques, évêques, et seigneurs, toute une caravane somptueuse de trente carrosses , noblesse, officiers et pages de chaque maison, gardes à pied et à cheval. On dit que la maison du Cardinal comportait alors cent cinquante personnes de livrée, autant de service et autant de suite, une garde personnelle de trois cents fantassins, et un équipage composé de vingt quatre mulets et huit chariots à six chevaux.
Salué par une décharge de quarante-cinq à cinquante pièces de canon, il fut accueilli par le marquis Henri de Poyanne et son fils Antoine alors marquis deCastelnau, par le capitaine Loustalot, le lieutenant Lacaze, puis par la bourgeoisie sous les armes,
Il logea dans la maison de Saint-Martin d'Agès où le comte de Guiche vint le complimenter de la part de son père, le maréchal de Gramont. Il quitta la ville dès le lendemain à trois heures du matin pour Bidache, accompagné de près de deux mille hommes d'armes. Il rejoignit ensuite Bayonne en galupe par l'Adour (il souffrait déjà de la goutte)
La deuxième visite intervint le 15 novembre 1659 au retour d'Espagne par Bidache, en route pour Toulouse où se trouvait la Cour ayant quitté Bordeaux pour le Midi. Il est raconté à cette occasion qu'on tenta sans succès de le faire bénéficier du soulagement des boues thermales. Il en repartit dans la matinée du 17 vers Tartas. Le marquis de Poyanne l'escorta, au moins jusqu'à Vic-Fezensac où on le retrouve le 20.
SOURCES A LIRE
H Delpont: Parade pour une Infante – Le périple nuptial de Louis XIV à travers le Midi de la France (1659-1660), ed d'Albret à Nérac, 2007 -- Dax et le mariage de Louis XIV-Un an de défilés - Bull Borda 2008 2e trim p 141 152
F Abbadie: L'ile des Faisans et la paix des Pyrénées - bulletins de la Société de Borda 1878 et 1879
J. Robert: Le tricentenaire d'une étape vers la pais des Pyrénées -bulletin de la Société de Borda 1959