Patrimoine culturel gascon
particulièrement enraciné dans les Landes et les marges des départements
voisins, la course dite landaise telle qu’on la connaît actuellement est née au
cours du XIXe siècle. On peut cependant faire remonter les origines lointaines et
primitives de cette tradition régionale jusqu’au Moyen Age.
En effet, un premier texte mentionnant,
pour les interdire, des lâchers de taureaux, bœufs et vaches dans les rues du
Sud-Ouest est un arrêté des échevins de Bayonne daté de 1289 conservé aux
archives municipales. A Saint-Sever, un autre document de décembre 1457 conservé
aux Archives nationales (rémission
accordée par Charles VII à un archer propriétaire d'une taverne dans
laquelle les convives s'étaient battus un jour de course), et les
comptes conservés de la ville, font état d’une coutume immémoriale de faire
courir (c’est-à-dire poursuivre à la course) des vaches et bœufs dans les rues à
l’occasion des fêtes annuelles de la Saint Jean.
Sans emplacement particulier réservé, ces
courses consistaient à lâcher les animaux dans les rues, sans aucune précaution
de sécurité, à la disposition des plus téméraires osant les provoquer et défier
les cornes. Il s’agissait la plupart du temps de bêtes devant être conduites à
l’abattoir, et cela devint un jeu anarchique et païen destiné à la jeunesse
courageuse en quête de sensations. Un compte rendu en gascon de 1603
montre qu’il s’agissait surtout de piquer l’animal avec des aiguillons fixés au
bout de bâtons, et de feintes dites « à la barre panade », ou du « paré »
qui consistait à détourner des mains la tête de l’animal lors de sa
charge, tout en effaçant un peu le corps.
La
tradition était tellement établie que le 29 aout 1561 des courses de taureaux
furent données à Saint Germain en Laye dans une enceinte fermée en l’honneur de
Jeanne d’Albret, reine de Navarre, et de sons fils à peine arrivés à l’occasion
du colloque de Poissy (lettre de l’ambassadeur à Philippe II d’Espagne)
Elle
n’était pourtant pas admise par les autorités religieuses. En 1567, une bulle
du pape Pie V défendit, sous peine d’excommunication et d’anathème, de permettre
des spectacles comportant des combats ou luttes avec des taureaux et autres
animaux (visant particulièrement les courses espagnoles).
En
1634, 1641 et 1647, l’évêque d’Aire n’eut de cesse de vouloir interdire, en
vain, les courses dans son diocèse. En réaction, dès 1636, les habitants de
Mont-de-Marsan adressant une supplique au duc d’Epernon, gouverneur de Guyenne,
déclaraient qu’ils étaient en possession, de temps et à jamais, de faire des
courses de taureaux pour célébrer la fête de sainte Marie-Madeleine. Le duc y
agréa et autorisa les courses le 18 juillet 1636, sous réserve de faire scier
les cornes.
Déjà, un conseiller au Parlement de Bordeaux et chroniqueur, évoquant
une course ayant eu lieu dans la ville en 1604, écrivit : « ces taureaux n’estoyent pas des plus furieux
ni semblables à ceux qu’on faict courre à Bazas le jour et feste de la
Sainct-Jean, au Mont-de-Marsan à la Magdelaine, et à Sainct-Sever à la
Sainct-Jean aussi … car, en un mot, c’estoyent des bœufs ». (Jean de
Gaufreteau, Chronique
bordeloise, édition 1878, tome 2)
Pourtant,
le 26 mai 1665, le conseil municipal de Saint-Sever, dans un contexte difficile
de rébellion contre la gabelle et de la répression de l’intendant Pellot,
abolit les courses « à tout jamais » pour mettre fin aux abus et à
l’impunité passés. A Dax on interdit seulement les courses, sous peine
d’amende, pour les bœufs destinés à la boucherie qu’on avait l’habitude de faire
courir dans les rues avant de les tuer.
Partout,
cependant, les tentatives des autorités se heurtèrent à l’opposition du peuple,
comme à Aire en 1723 lorsque, après que le chanoine de la cathédrale et un
jurat eurent tenté d’empêcher une telle course, la brigade de gens d’armes dut
intervenir contre l’attroupement d’un peuple menaçant de s’armer.
L’enthousiasme
populaire pour les jeux taurins occasionna en effet quelques désordres contre
lesquels les autorités civiles et religieuses en charge de l’ordre public tentèrent
par tous les moyens de mettre un terme.
En 1756, un paysan de Campet,
jardinier du marquis du Lyon, qui s’était aventuré sans méfiance dans une rue
de Mont de Marsan alors qu’un taureau venait d’y être lâché, fut renversé et piétiné
et encorné. Plainte fut alors adressée à Louis Phélypeaux, secrétaire d’Etat de
Louis XV, qui chargea l’intendant Mégret d’Etigny d’enquêter. Ce dernier ne
manqua pas de préciser que cet accident avait été précédé de beaucoup
d’autres « sans que les magistrats
de Mont-de-Marsan ayent jamais pu y mettre ordre, par l’entêtement des
habitants du lieu qui sont extrêmement attachés à ces sortes d’amusements,
nonobstant les risques qu’ils courent eux-mêmes en irritant les taureaux ou
bœufs que l’on fait courir dans les rues de la ville », ajoutant que
« juge que le peuple ne se
soumettrait point à des ordonnances ou règlements de police tendant à les empêcher »
Aussi, tout en défendant les courses à
l’intérieur des villes, une ordonnance royale du 16 février 1757 appliquée par l’intendant
dans sa généralité d’Auch et de Pau, les permit, sous autorisation de
l’autorité municipale, en dehors des agglomérations, en des endroits clos par
des barrières.
Malgré cela, et suite aux multiples
accidents, le maréchal de Richelieu, gouverneur de Guyenne, fut amené à
interdire ces courses, avec ou sans barrières, dans toute l’étendue de son
gouvernement, par une ordonnance du 22 juin 1766. Il cita notamment les villes
de Dax, Tartas, Saint-Sever, Mont-de- Marsan, Aire, Grenade, Mugron, Montaut,
Hagetmau, Villeneuve, et Cazères
Rien n’y fit. Devant le manque de zèle
des autorités locales (à Mugron par exemple, on invoqua que les valets de ville
n’osèrent pas s’opposer à une course « de
crainte d’être assommés par la populace ») le gouverneur dut
s’incliner, considérant « le gout
dominant et général ». Voulant tacher de combiner cette passion
populaire et la tranquillité publique, une ordonnance du 30 mars 1773 toléra
donc les courses dans les villes qui pouvaient construire des cirques entourés
de barrières élevées et solides.
Son successeur au gouvernement de
Guyenne, le maréchal Philippe de Noailles, duc de Mouchy, reprit la lutte en
interdisant les courses dans chaque ville ou village où on les lui signalerait.
Par une ordonnance du 19 juillet 1782, faisant suite à divers accidents, il
interdit les courses à Dax, tant en dedans qu’au dehors ou les faubourgs.
Même la période révolutionnaire
n’empêcha pas que la pratique des courses se perpétue. A Montaut, par exemple,
un arrêté de l’assemblée des jeunes gens de la commune en date du 9 messidor An
IV arrêta qu’il y aurait irrévocablement une course sur la place du Domanée,
avec un bœuf, considérant qu’il en était ainsi de tous temps le jour de la fête
de Saint-Pierre
Joseph La Vallée visitant les Landes
en l’An V écrivit à propos d’Hagetmau : « On retrouve dans les habitans quelque analogie avec les mœurs
espagnoles, même dans leurs amusemens. Les combats de taureaux y sont en usage »
Dans une lettre du 8 germinal An VII
au ministre de l’intérieur, Louis-Samson Batdedat, commissaire du gouvernement auprès
de l’administration municipale de Saint-Sever, faisait une critique « des courses de bœufs, vaches et taureaux qui
sont singulièrement en usage dans ce pays pendant une bonne partie de l’année ».
Jugeant cette pratique barbare, coutant chaque année la vie à plusieurs individus
(8 tués dans les Landes durant l’An VII), il en sollicitait la prohibition, ou
du moins la sécurisation de la menée des animaux.
Sous le Consulat, le jeune préfet des
Landes, Méchin, interdit les courses dans tout le département par deux arrêtés
des 9 thermidor et 16 fructidor de l’An IX, à la suite d’un grand nombre de
blessés et plusieurs morts. Sans aucun succès, l’interdiction de « la jouissance d’un exercice qu’un long usage
leur a rendu cher » fut finalement rapportée dix mois plus tard, le 14
Prairial An X.
De fait, paradoxalement, l’énergie des
divers pouvoirs publics ou religieux à vouloir interdire puis à contrôler les
courses ne fit que conforter la résistance de la population. Les premières
restrictions imposant la construction d’enceintes fermées permirent ensuite à
ce qui devint la course landaise de s’enraciner et se développer jusqu’à
devenir une tradition populaire reconnue.
C’est
sur cette base qu’au cours du XIXe siècle la course landaise s’organisa. D’une
pratique libre dans les rues, puis sur les places de villages ou champs de
foire fermés par des charrettes, elle se déroula uniquement dans des lieux
délimités et clos donnant lieu à la construction des premières arènes.
course à Mont-de-Marsan sur la place Saint-Roch
(Collection particulière-photo Alban GILBERT -extrait du livret de
l'exposition"cultures taurines du sud Ouest" Dax musée de Borda
2013/2014)
mosaïque sur la place
mosaïque sur la place
A l’origine exclusivité des amateurs,
elle s’organisa progressivement en une discipline sportive comportant des
règles et des figures imposées : la course formelle. Cette forme moderne
et plus professionnelle date des années 1830. De jeu, elle se transforma en
spectacle et depuis reconnue par Ministère de la Jeunesse et des Sports, et
actuellement gérée par une Fédération Française créée en 1953.
place des arènes de Saint-Justin
Les pratiques anciennes de
l’aiguillade consistant aiguillonner le cou des bêtes, et du saut avec une
perche, disparurent au milieu du XIXe siècle au profit de l’’esquive par la
feinte et l’écart, puis le saut au-dessus de l’animal.
L’arrivée
de la tauromachie espagnole au milieu du XIXème siècle marqua l’apparition des
vaches d’origine ibérique, femelles des taureaux de combat, jugées plus aptes et
spectaculaires que le bétail local. Ce serait dans arènes
de Magescq qu’aurait été présenté ce premier bétail espagnol, en l’occurrence
des taureaux, les 17
et 18 octobre 1852
Inspirée de « l’habit de
lumières » des toreros de corrida, la tenue des « écarteurs »
landais, ne fut adoptée qu’à la fin du XIXe siècle (pantalon de toile blanc, ceinture
rouge, chemise blanche, cravate, boléro et gilet de velours aux couleurs agrémentées
de franges, perles, et chamarrures de paillettes d’or ou d’argent, bottines…et
béret)
anciens costumes des écarteurs
Marin1er (1865-1921), une gloire de la tauromachie landaise
Après 1890, à la suite de nombreux et
dramatiques accidents, on se résolut à « embouler » les cornes des
vaches par des tampons de bois, cuir, puis chatterton – lesdites vaches étant
par ailleurs guidées par une corde. Il n’empêche qu’entre 1887 et 1905, une
douzaine d’écarteurs y perdirent la vie, et une dizaine entre 1905 et 2000.
A LIRE
E. Moringlane - Histoire des courses landaises
depuis leur origine jusqu’à nos jours avec l’explication complète et détaillée
de toutes les suertes tauromachiques. (Mont-de-Marsan- Imp. Pindat
et Legrand -1905).
M.
Le Grand - Courses de taureaux dans le
sud-ouest de la France jusqu’au début du XIXe siècle - Mont de Marsan – Jean
Lacoste-1934- p 30-33 et 112 -14)
H. Tartiere –Les courses de taureaux
dans les landes dans Bulletin de la Société des lettres et sciences des Landes
- 1867, et la Revue d’Aquitaine T XII- 1868.
M. Bregail – Courses de taureaux et
l’intendant d’Etigny dans la Revue de Gascogne 1898 t XXXIX.
Y.-M. Bercé - Les courses
de taureaux dans le Sud-Ouest aquitain - dans les Actes du XXIIIe Colloque
international d'études humanistes - Tours juillet 1980 (Paris -J.Vrin - 1982)