A PROPOS DU MOULIN D'ONARD

A Onard, près de la micro centrale hydro-électrique installée sur une dérivation de l’Adour, on peut apercevoir une grande bâtisse sur le point de disparaître sous la végétation dense qui l'entoure. Ce vieux bâtiment abandonné mérite mieux que son sort actuel. Il est un témoignage de la fin du XVIIIème siècle et de l'esprit d'entreprise du seigneur du lieu, marquis de Poyanne, inspiré par le courant des physiocrates. 


Au milieu du XVIIIème siècle ce groupe d'économistes dits physiocrates recommande à la royauté de prendre des mesures pour développer le commerce des farines. On encourage alors l'installation de minoteries, et l'exploitation des techniques modernes de meunerie.


Porte monumentale et bâtiment principal vers 1972
(photo C. Labeyrie) 

L’arrêt Turgot du 13 septembre 1774 établit la liberté du commerce des grains et des farines dans l’intérieur du royaume, réservant de statuer sur la liberté de la vente à l’étranger lorsque les circonstances seraient devenues plus favorables. L'arrêt autorise en outre la libre importation des blés dans le royaume  et leur réexportation sans droits en justifiant que les grains sortants sont les mêmes que ceux qui ont été apportés de l’extérieur. C’est une aubaine pour les négociants.

A cette époque où les négociants contrôlent de plus en plus activement l’industrie rurale, le marquis de Poyanne est en affaires avec le jeune négociant François Batbedat installé à Bayonne, mais issu d’une d'une famille de haute bourgeoisie marchande  originaire de Vicq d Auribat. Celui-ci  importe déjà du froment étranger, parfois de fort loin comme Dantzig. Il traite aussi avec l’Espagne et la Compagnie de Caraques établie au port espagnol de Passagès, près de Saint-Sébastien. Il envoie des farines à Cuba, et fournit la Compagnie des vivres de la Marine et commerce avec les colonies. En 1775 il indique même avoir reçu du froment du Cap de Bonne Espérance (et se propose d’en donner quelques sacs à Poyanne pour le semer à Sengresse). 

Dès 1775 le marquis de Poyanne projette d’établir un moulin à farine, ce qu’on appelle plutôt une minoterie, sur le modèle de celui de Condac édifié par le comte de Broglie près de Ruffec en Charente. Batbedat lui suggère de s’inspirer des moulins de Corbeil sur l’Essonne et des plans et conseils de M Pierre-Antoine Dransy, ingénieur du roi, qui en dirigea la construction. (1)

(1)  " Ce M Drancy est déjà connu sous des titres avantageux par sept moulins qu' il a construit en Gascogne, dont quatre sur l'Adour et trois sur le Louts, dans les terres de feu M le Marquis de Poyanne" écrira plus tard M. Parmentier dans un mémoire à l'Académie royale des sciences, belles lettres et arts de Bordeaux, en 1784

Pour cela, il faut engager des capitaux importants. Poyanne devient bailleur de fonds et apporte 100 000 livres pour la constitution d’une société en commandite de négoce de grains et farines et le fonctionnement du moulin, par une convention d’une durée de six ans.

En 1776, le marquis a acheté à la communauté d'Onard "un arpent, une saison, deux arrégues de terre à l entrée du dit bois communal de la dite communauté où il il a quelques chesnes,[le tout situé] contre un bras de riviere de la Dou [ ...] moyennant le prix et somme de cinq cents quatre vingt quinze Livres y compris les dits chesnes [....} Lequel emplacement le dit seigneur destine à y construire un moulin économique qu'il projette de faire sur le dit Bras de la riviere de La Dour"

Quelques correspondances et rapports issues de l'intendance de la Généralité de Guyenne à Bordeaux font références à la demande d'autorisation du marquis pour " faire construire sur un bras de la rivière de l'Adour qui passe sur un communal de la paroisse Donnard dont il est seigneur, un moulin économique nécessaire dans cet endroit pour faciliter le débit du froment qui s'y recueille »

Ce qui semble être alors la principale préoccupation est l'impact éventuel sur la navigation : Que cet établissement "ne puisse être nuisible à la navigation, pourvu qu'il soit formé sur le bras détourné de la rivière ainsi qu'on l'a préparé , et que la largeur et profondeur de la prise d'eau existante et reconnue par les officiers de la navigation soit assurée par des ouvrages solides afin que la facilité actuelle de navigation dans cette partie ne puisse être altérée par la suite, soit par l'élargissement ou l'approfondissement du canal du moulin, et pourvu aussi que dans le cas où la rivière viendrait par elle-même produire cet effet au détriment de la navigation, M. de Poyanne et ses ayants droits soient expressément tenus soit d'abandonner le moulin soit de faire les travaux qui seraient nécessaires, aux dépens de M. le marquis de Poyanne,  pour empêcher que le volume des eaux destinées à la navigation ne puisse être diminué".
 Sans ces conditions " il y aurait pas lieu de se prêter à sa demande dont il serait peut-être à propos qu'il se désistât"     ( juillet et août 1776)

dérivation de l'Adour après la digue de la Pachère

Il s'agit d'une demande de permission de construire un " moulin économique pour la fabrication de minot" (lettre du 14 mai 1776)  qui semble avoir été formée en avril et mai 1776 par un placet au Roi ou plutôt à son Conseil.

La mouture économique  apparue dans les années 1750 -1760  est une mouture progressive dans laquelle les blés sont mieux nettoyés et les produits repassés plusieurs fois sous de nouvelles meules, le tamisage étant ensuite assuré par des bluteaux plus performants. On en obtient ainsi plus de farine blanche et de meilleure qualité que par la moutures traditionnelles dites «  à la grosse » sans blutage qui donnait un mélange de farine et de son, et « rustique » plus perfectionnée qui donnait deux ou trois qualités de farines plus ou moins mélangées.  Ces méthodes procuraient de grands quantités de farine de qualité médiocre pour l’alimentation et peu de farine fine alors réservée aux riches.

L’exemple en est alors la minoterie de Corbeil. Les moulins de Nérac, Moissac et Montauban produisaient déjà une farine blanche et fine dite » de minot » très appréciée  et de conservation facile grâce à l’étuvage permettant l’exportation  par Bordeaux vers les Antilles. Le commerce de la farine se substitue au commerce des grains

Par une lettre datée de Paris le 30 avril 1776, Poyanne explique qu'il a formé ce projet en raison de la difficulté de vendre les grains dans la Généralité et indique en avoir parlé il y a déjà longtemps à Monsieur le Contrôleur Général qui l'a approuvé. Il précise avoir remis un mémoire à M de Boussagues (? sans garantie) il y a plus de trois mois, lequel lui a dit l'avoir envoyé à l'intendant Clugy ( en fait 20 mars) afin d'obtenir la permission du Roi. 

Mais les rapports sur place et les éclaircissements obtenus rassurent:
Un certain Lafargue s'étant transporté sur place confirme que ce moulin " fera le plus grand bien dans les environs en y procurant beaucoup d'argent ... sans porter aucune sorte d'obstacle à la navigation"
- Il ne doit être fait aucune sorte d'ouvrage, ni en pierre, ni en bois, à la naissance du bras de l'Adour, M. le Marquis de Poyanne n'ayant absolument besoin que de l'eau qui coule naturellement par cet endroit. Tous les travaux se borneront à la construction du moulin, et l'eau sortira perpétuellement dans son lit naturel"
- De toute façon le bras utilisé  " n'est ni assez large ni assez profond pour qu'aucun bateau de commerce y puisse passer"
- M. le marquis a déjà fait des approvisionnements très coûteux et commencé des travaux préparatoires" ( juillet 1776)
   

Planche de l'encyclopédie de Diderot et d'Alembert

Le moulin est construit à proximité de l’Adour. L’eau est amenée sur la roue par un canal ou bief d'amenée (déviation de la rivière). Un barrage ou déversoir permet de maintenir une réserve d'eau suffisante dans le canal ; l'eau de débordement ou trop-plein rejoignant le cours normal de la rivière. À l'arrière du moulin, l'eau regagne le fleuve en empruntant un autre bief, appelé canal de fuite


La taille imposante et la hauteur du bâtiment résulte de la nécessité d’installation, au dessus des meules, des cribles et machines annexes de nettoyage et tamisage sur plusieurs niveaux. Les grains stockés à l’étage supérieur sont traités dans les étages inférieurs par gravitation.

Aspect du grand bâtiment du moulin d'Onard vers 1965.
(photo C. Labeyrie)


le site vers 1972
(photo C. Labeyrie)

Une porte cochère monumentale ouvrait sur une vaste cour et un imposant bâtiment aux proportions agréables, composé de deux étages  couverts d'un haut toit d'ardoise. Des constructions basses entouraient les autres cotés de la cour. Le moulin lui-même était adossé à la façade nord du bâtiment principal et à cheval sur le canal


la façade nord aujourd'hui
.
Les meules,  issues probablement des célèbres carrières de La Ferté sous Jouarre, arrivent de Paris par Rouen et Bayonne en août 1776. Le marquis envoie sur place un charpentier. Divers essais techniques sont effectués, on recrute un jeune fils de meunier de Bégaar qu’on se charge de former et un meunier de Bayonne nommé Labrit, remplacé par la suite par un meunier venu de Paris.

On discute de cribles, de butoirs, des procédés de blutage des farines (séparation de la farine et du son par cribles et tamis), d’étuve selon l’invention de M Duhamel du Monceau, de moulure à la grosse ou moulure économique qui donne plus de farine de qualité supérieure, ou de farine minot pour l’expédition vers les îles, et de marque pour les barils d’expédition. On s’inspire alors des travaux de M. César Bucquet, expert en meunerie, repris par les écrit de M.Edme Beguillet, auteur d’un Manuel du meunier et  du charpentier de moulins publié en 1775

Les travaux traînent jusqu'en Mars 1777. Le moulin est finalement prêt en avril. Le marquis se fit alors expédier des échantillons de farine.

Malheureusement dès octobre 1777 l’eau trop basse et la qualité de la farine semble médiocre. Des problèmes d' embarquement et débarquement des bateaux, le chemin souvent impraticable entre le port et le moulin, retardent les  apports en grains. 
C est au château de Versailles que le 28 juillet 1778 le conseil royal signe l' arrêt autorisant la construction d'un barrage en remplacement de l'ouvrage plus ancien consistant en une nasse et un pertuis pour le passage des bateaux. A cet effet, on fait appel en 1779 à M. Perronet (Jean Rodolphe Perronet, premier  ingénieur des ponts et chaussées de France, membre de l’Académie des Sciences de Paris). C'est la Pachère dou moulin dou Nart, qui  vient du gascon "pachet"- piquet- dont est alors constitué le barrage piqueté et clayonné permettant de fournir l'eau suffisante au moulin tout en  facilitant la navigation vers l'amont les mois d'été.

la digue de la Pachère (photo JHL)

le pertuis et l'échelle à poissons (photos C. Laneyrie)


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La société semble fonctionner normalement jusqu'en avril 1779 lorsque les premiers problèmes financiers surgissent. De plus, la guerre arrête la circulation et rend l’argent rare. Un prêt de 100 000 livres est sollicité auprès de Poyanne. En juin 1780 le marquis se propose, avec l’appui du roi et de Sartine, d’affréter des navires, mais les expéditions vers l’Amérique sont suspendues et depuis la déclaration guerre de l’Angleterre à la Hollande on ne peut plus envoyer de farines à Cadix.

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Le marquis de Poyanne disparu en 1781, sa petite fille et héritière (Maximilienne Augustine Henriette de Montmorency-Laval)  vendit le moulin au riche négociant mugronnais Dominique Domenger le 27 septembre 1804. Au décès de ce dernier en 1832, sa fille unique Françoise, épouse du baron de Lataulade, en hérita. Il fut ensuite racheté en 1844 par M Léopold Moreau de Belaing,  aristocrate venu du Nord qui avait précédemment acquis le château de Poyanne . Il fit exécuter des travaux sur le canal et la digue pour améliorer le rendement . Le moulin est ensuite acquis en 1852 par le dacquois Jean Victor Lasserre, et conservé par la famille jusqu'en 1943. Mais malgré la modernisation apportée aux installations, le moulin ne put concurrencer les grandes minoteries industrielles, et  ses meules finirent par cesser de tourner.


Toutefois, profitant du site aménage et du canal de dérivation, une micro-centrale électrique utilisant la force de l'eau continue d'être exploitée tout près de l'ancien moulin par M Pierre Gillieron qui revend une électricité "naturelle" à EDF 
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Remerciements particuliers à Mme Marie-Claire LAMARQUE
 pour les correspondances du marquis de Poyanne
et à M.Christian LABEYRIE
 pour les photos et renseignements aimablement communiqués 


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